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les secrétaires d’Etat s’y sont rendus de leur côté : on traite et on expédie les affaires en commun. Le conseil dure jusqu’à onze heures. Le Père Joseph va dire sa messe et donne de nouvelles audiences. Apres son repas du milieu de la journée, il reçoit encore, il écrit, il dicte, il travaille sans relâche jusqu’au souper, qui n’est pour lui qu’une légère collation. Il revient encore passer une heure dans la soirée auprès du cardinal, on cause des questions politiques courantes, ou bien on argumente sur la théologie.

Dans cette vie toute consacrée au travail, pas la moindre distraction, au moins pour le capucin. Du côté de Richelieu, c’est autre chose. Il a d’abord la littérature : n’oublions pas que non seulement il protège les écrivains, mais qu’il se pique lui-même de bel esprit. Il a encore la comédie et le ballet : deux faiblesses que le Père Joseph lui reproche de temps en temps. Il se défend. Une fois, par manière de représailles, il dit : « Venez donc à la comédie ; le sujet aujourd’hui en est très sérieux. — Non, répond le capucin : je vais faire la comédie avec mon bréviaire. » Enfin la distraction préférée du premier ministre, pendant les dernières années de sa vie, c’est la conversation d’un petit cercle composé de trois hommes, moitié amis, moitié subalternes, l’académicien Boisrobert, le secrétaire du chiffre Rossignol et le médecin Cytois. Tous trois ont fait provision d’anecdotes ; ils lui racontent les événemens de la cour et de la ville. Il se complaît au milieu de cet entourage et se délecte de cette petite chronique quotidienne qui donne relâche à son esprit et le délasse des occupations de la journée.


III

Dans cette collaboration de Richelieu et du Père Joseph, quelle a été la part de chacun ? Des deux, quel est celui qui dirigeait ? Jusqu’à quel point s’est étendue l’influence du capucin ? Faut-il voir en lui l’inspirateur de la politique suivie par le cardinal ? Quelques contemporains l’ont cru. Ils se sont laissé tromper par les apparences. De faits exacts ils ont tiré des conclusions exagérées. En 1631, au lendemain des négociations de Ratisbonne, le résident impérial, Lustrier, signale la tendance du premier ministre à laisser le Père Joseph conduire la politique extérieure et diriger tout le travail des secrétaires d’Etat. Deux ans plus tard, il écrit que le roi est gouverné absolument par le cardinal et le cardinal par le capucin. D’autres agens diplomatiques, étonnés et dépités de ne pas voir assez facilement le ministre, ont cru à une