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Lorraine pour la France, les Pays-Bas et les Provinces-Unies. » Il n’y avait pas à se méprendre sur la portée de ces propositions : c’était la mainmise de l’Autriche sur les forces militaires des trois pays. Le Père Joseph s’employa sans hésiter à faire échouer son projet transformé. Dès cette époque, il était dévoué corps et âme à l’œuvre de Richelieu.

Cette œuvre, dès le premier jour, s’est distinguée, par des traits caractéristiques, de celle que s’était proposée le capucin. La politique personnelle du Père Joseph s’inspirait d’idées de propagande religieuse qui dépassaient les frontières des États : c’était une politique cosmopolite. La politique du cardinal, au contraire, était une politique nationale avant tout. La confédération européenne, la croisade, la délivrance de l’Orient chrétien, n’étaient pourtant pas abandonnées complètement. Le ministre et le capucin continuaient à en parler ; mais avant tout il fallait conduire à sa fin l’œuvre commencée. Les projets du capucin étaient donc relégués à l’arrière-plan. Finalement ils restèrent à l’état de rêve. La lutte contre la maison d’Autriche a occupé en effet toute la vie de Richelieu et de son collaborateur ; ils n’ont même pas vécu assez pour en voir le dénouement. Le Père Joseph a donc été l’exécuteur très habile, très fidèle, très dévoué, d’une politique qu’il n’a ni choisie ni dirigée. L’inspirateur de la politique de Richelieu, on le connaît et l’on n’a pas besoin de le chercher : il s’appelle Richelieu.

Faut-il conclure de là que le Père Joseph n’ait eu aucune influence sur le cardinal ? Ce serait, pour éviter une erreur ou une exagération, tomber dans l’excès opposé. Richelieu laissait, dans les détails, une certaine liberté à ses collaborateurs, surtout au plus considérable d’entre eux, à celui qui lui inspirait le plus de confiance par son inébranlable dévouement et par l’importance des services qu’il lui avait rendus. Il ne craignait même pas la contradiction, quand il savait qu’elle n’était pas inspirée par un sentiment de jalousie ou d’hostilité. Aussi le capucin pouvait-il sans crainte présenter ses objections au cardinal. Celui-ci, sûr de la fidélité de son conseiller, écoutait, discutait, réfléchissait et finalement modifiait parfois ses projets.

En 1631, par exemple, au moment où Gustave-Adolphe, après la victoire de Leipzig, s’avançait vers le Rhin, le cardinal eut la pensée de profiter du trouble causé en Allemagne par l’invasion suédoise pour occuper les places d’Alsace et y mettre des garnisons. Le roi de Suède n’était pas opposé à cette idée. Au contraire, il trouvait naturel que la France voulût s’avancer jusqu’aux frontières de l’ancienne Gaule ; mais, pour favoriser cette entreprise, il demandait à être secondé, lui aussi, dans ses desseins. Il lui