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connoissez cet Allemand et ses plaintes et difficultez… Je crois qu’il se plaindra toujours, et néanmoins fera ce dont nous avons de besoin. » Sur un point cependant Bernard résista. Le capucin avait imaginé un projet compliqué pour le marier à la fille unique du duc de Rohan, Marguerite, qu’on aurait d’abord convertie au catholicisme, et qui se serait chargée à son tour de convertir le prince saxon. La facilité avec laquelle l’héritière des Rohan, quelques années plus tard, épousa un catholique fait croire que ce projet n’aurait pas été inexécutable de son côté ; mais il rencontra des obstacles du côté du père et de la mère ; il en rencontra surtout du côté de Bernard. Le rude soldat, pourtant, n’était insensible ni à la beauté de la jeune fille ni aux avantages d’une alliance qui aurait associé les maisons de Saxe, de Béthune[1] et de Rohan. Pendant son premier voyage à la Cour, en 1636, il vit plusieurs fois Mme et Mlle de Rohan, et parut au théâtre dans leur loge ; on crut le mariage conclu, Grotius l’annonça dans une lettre à Oxenstiern. Tout alla bien jusqu’au moment où Bernard, qui n’était pas un naïf, flaira le piège qui lui était tendu. Alors il se déroba poliment. Il avait pu mettre de côté bien des scrupules, mais non pas ses scrupules religieux : c’était le cas de beaucoup d’hommes de ce temps-là. Il avait vendu à la France son épée : il ne voulut pas trafiquer de sa foi.

Le tableau des relations de Richelieu avec le Père Joseph ne serait pas complet si l’on ne disait quelques mots de leurs doctrines religieuses et de l’influence que chacun des deux a exercée sur l’autre dans cet ordre d’idées. Déjà, en parlant de la jeunesse du capucin, nous avons signalé ses tendances ultramontaines : elles furent tempérées plus tard par les nécessités de la politique et par l’ascendant que le premier ministre exerçait sur son collaborateur. Richelieu, qui a été accusé par Bossuet de faiblesse à l’égard du saint-siège, n’était à proprement parler ni gallican ni ultramontain ; il faisait la part très large à l’autorité du souverain pontife quand il ne s’agissait que de dogme ou de discipline, mais il devenait intraitable dès qu’un intérêt politique était en question. Ainsi, pour faire annuler le mariage de Gaston d’Orléans et de Marguerite de Lorraine, union parfaitement régulière au point de vue canonique, le premier ministre soutint et fit accepter par le clergé français cette doctrine que le contrat civil est la matière du sacrement de mariage, et que par conséquent « le contrat ayant, dans l’espèce, manqué d’une condition essentielle de validité, à savoir le consentement du roi, exigé par le droit

  1. La duchesse de Rohan était fille de Sully, qui avait la prétention, contestée d’ailleurs, de descendre de la maison de Béthune.