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protecteur de Bernard de Saxe-Weimar, prépara de concert avec lui des plans de campagne et seconda de tout son pouvoir la grande entreprise du prince saxon contre Brisach, considéré alors comme le boulevard des possessions autrichiennes et même de l’Empire allemand.

En octobre 1638, Richelieu attendait à la fois la nomination du Père Joseph au cardinalat et la capitulation de Brisach, étroitement bloqué par Weimar depuis plusieurs mois : c’est à ce moment que le capucin, dont la constitution vigoureuse était depuis longtemps épuisée par les jeûnes et les macérations en même temps que par l’excès du travail, fut frappé d’une première attaque d’apoplexie. Dès cette époque on le considéra comme perdu. On n’insista plus pour sa nomination, de peur de perdre sur un moribond le droit de présentation du roi. Deux mois après, lorsqu’il fut atteint d’une nouvelle et mortelle attaque, Mazarin fut présenté à sa place et se trouva ainsi désigné comme l’avait été précédemment le capucin pour devenir le successeur de Richelieu.

Richelieu, désolé, vint chaque jour au chevet de son collaborateur. La tradition rapporte que, dans la dernière soirée qu’il passa auprès de lui, la veille de sa mort, le 17 décembre, il se penchait sur son lit, en lui criant pour le ranimer : « Père Joseph, Brisach est à nous ! » M. Fagniez, comme tous les érudits ne croit pas beaucoup aux mots historiques : il ne se résigne pourtant pas à sacrifier celui-ci, et nous le comprenons. La capitulation de Brisach fut signée précisément le 17 décembre ; elle ne pouvait donc pas être officiellement connue à Paris ce jour-là. Toutefois elle était tellement prévue, qu’on pouvait la regarder comme indubitable et l’annoncer sans crainte de se tromper. Dès le 8 décembre, la place étant réduite à l’extrémité, le gouverneur, le brave et malheureux Henri de Reinach, était entré en pourparlers avec les assiégeans. Le 10, Bernard de Weimar avait fait partir pour la cour un de ses hommes de confiance, Vicquefort, porteur de lettres qui faisaient prévoir la chute imminente de la capitale du Brisgau. Le Père Joseph, avant de mourir, a donc pu considérer comme certain un succès militaire auquel il avait tant contribué.

La prise de Brisach eut en Europe un grand retentissement. Aucun coup pareil n’avait été porté à la maison d’Autriche depuis la bataille de Lutzen. Les amis de Richelieu y virent la justification de la politique du cardinal et une compensation à la mort de son principal collaborateur. Les inimitiés qui avaient poursuivi le Père Joseph pendant sa vie ne s’apaisèrent pas, mais firent du moins silence, pour un moment, devant son cercueil. Ses