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question ou cette autre en particulier, on n’y puisse jamais voir une partie de la droite voter avec une partie de la gauche, formant une majorité de coalition et de rencontre, sinon de hasard ; mais à l’avance, sur chaque question importante, chaque député a son avis et il s’y tient, et il l’exprime : le compte des voix est aisé à faire et presque toujours il est sûr.

Au lendemain des élections de 1891, le baron Mackay fit son compte et s’aperçut qu’il n’aurait pas la majorité dans la seconde Chambre. Il pria donc la reine régente de le relever de ses fonctions. Pas d’hésitation possible : la droite reconnaissant n’être plus en mesure de gouverner, il fallait appeler les chefs de la gauche. Le plus universellement désigné était M. Tak van Poortvliet. Ancien ministre des Travaux publics dans le cabinet Kappeyne, M. Tak van Poortvliet passe pour un homme à idées et pour un homme d’autorité, pour un homme de tête et un homme de main. « C’est un petit Bismarck, » disent de lui les mécontens, qui n’ont pas oublié l’ampleur de ses anciens projets et redoutent que, cette fois encore, il ne veuille les mener très loin. Et ils citent à l’appui de leurs dires je ne sais quel plan de canal d’Amsterdam ou de Rotterdam à Cologne, dont l’auteur principal fut jadis M. Tak, et qui contribua quelque peu à la chute du cabinet Kappeyne. M. Tak van Poortvliet semblait personnellement atteint, entre les autres libéraux, et, à Amsterdam même, ne fut pas réélu. Alors, il entra à la première Chambre, comme représentant d’une province du nord ou du centre, jusqu’à ce que des élections postérieures vinssent de nouveau assurer le succès de la liste libérale et le retour à la seconde Chambre, qui est plutôt son milieu naturel, de M. Tak van Poortvliet, nommé député de la capitale, sur une liste panachée « Un petit Bismarck ! » on a peine à s’imaginer, même en petit, le grand et terrible chancelier, devant ce bourgeois aux allures simples et placides, qu’on peut voir, par la pluie ou la neige, se rendre pédestrement à son cabinet, en ce coin noir du Binnenhof où le ministre de l’intérieur est logé comme un chef de bureau ne voudrait pas l’être chez nous, et où, tranquillement, toute la journée, il travaille, sa porte ouverte à tout venant, dans une hospitalité très patriarcale. Une cinquantaine d’années, gros et court, avec un air de belle santé : les cheveux gris et la moustache grise : non, décidément, dans l’aspect, rien de M. de Bismarck, et rien dans la conversation : ni l’enjouement, ni l’emportement, ni les brusqueries, ni l’incontinence de langage, voulue ou simulée, de l’autre : au contraire, M. Tak van Poortvliet est froid, serré, correct, porté à répondre par monosyllabes, et l’on ne trouve, à y