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la Bible reposait sur un drap broché d’or, pendant que, vêtu d’une robe de chambre, découpe et de couleur pareille à l’habit d’un ordre religieux, il parlait, ponctuant ses phrases d’un geste qui faisait étinceler l’anneau du pasteur qu’il porte à son doigt, je regardais ce visage romain et je me rappelais d’autres princes spirituels et je revoyais des papes, à demi césars, qui furent des évocateurs, presque des créateurs et des conducteurs d’hommes. Le temps a épaissi le bas de ce visage marmoréen, mais sans altérer la fierté des traits, sans creuser une ride au front, sans éteindre la flamme qui jaillit des yeux, qui échauffe et qui illumine.

Voici ce que le docteur Kuyper disait : « Oui, nous commençons à faire quelque chose, mais, que voulez-vous ? nous sommes encore peu nombreux et isolés au bout de l’Europe. Nous sommes environ 300000 calvinistes, j’entends des calvinistes purs et ne m’occupe pas des autres protestans. Je distingue, au contraire, formellement entre les protestans et les calvinistes. C’est un petit nombre, mais ce qui fait notre force, c’est la valeur intellectuelle et morale de chacun de ces 300 000 adhérens. J’ai été élu député à la seconde Chambre, mais j’ai tout de suite donné ma démission parce que j’ai compris que par l’enseignement seul nous pourrons faire quelque chose. Le difficile, c’est de pénétrer jusqu’au peuple, car, enfin, c’est au peuple qu’il faut aller et c’est dans le peuple, parmi les ouvriers des villes et des campagnes, que nous devons trouver les sources de la vie. On ne saurait croire combien nous y avons rencontré d’intelligence et de dévouement, les sacrifices que se sont imposés ces humbles et ces petits. Il y en a qui gagnent 20 florins par semaine et qui, pour une seule de nos œuvres, souscrivent 40 ou 50 francs. Notre mouvement est un mouvement religieux, mais c’est aussi un mouvement politique. Nous sommes comme les huguenots du XVIe siècle ; nous avons toujours été en même temps des hommes de foi et des hommes politiques. Notre centre d’activité et notre force étant dans le peuple, nous ne craignons pas de marcher, au besoin, avec les radicaux et même avec les socialistes, en ce que le socialisme a de sain et de généreux. Nos ouvriers, nos paysans de Hollande valent bien, au surplus, nos comtes et nos barons ; nous ne pouvons les laisser croupir éternellement dans la misère. Cela ne se peut pas et ne se doit pas, cela n’est ni juste ni possible. Pourtant, nous sommes et nous nous disons anti-révolutionnaires, c’est-à-dire opposés à l’esprit de la révolution. Nous acceptons tout ce qu’il y a de bon dans la révolution, mais en le faisant dériver de principes autres que les principes