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route à suivre ; parce que vous avez modéré nos enthousiasmes ou relevé nos courages ; parce que vous vous êtes associé à nos travaux, et que vous n’avez pas dédaigné de nous associer aux vôtres. Dans les passages difficiles, vous avez pris le gouvernail. Vous avez bien conduit notre barque. C’est aujourd’hui la fête du patron, c’est aussi la fête de l’équipage. »

Charcot encourageait ses élèves et les aidait de tout son pouvoir ; mais, même à ce point de vue, il n’abandonnait pas sa direction générale. Pour lui-même il ne recherchait ni places, ni honneurs en dehors de la carrière scientifique qu’il s’était tracée ; il ne voulait pas disséminer ses efforts, il avait pour cela de bonnes raisons. On ne l’a jamais vu briguer les charges administratives, ni les présidences multiples ; il n’a guère été président que de la Société anatomique et il s’est démis de ses fonctions le jour où elles ne pouvaient plus lui être utiles pour son enseignement de l’anatomie pathologique. Il n’a jamais cherché à étendre son influence en dehors du domaine scientifique, et il n’en sortait guère que lorsqu’il s’agissait d’aider ses élèves. Mais ce n’est pas à leur reconnaissance que Charcot a dû sa renommée, c’est à son mérite incontesté parmi ceux qui sont en mesure de le juger. Le professeur Pick, de Prague, n’a fait qu’exprimer l’opinion du monde savant, lorsqu’il dit : « La France a perdu son plus grand médecin, celui qui dans son domaine pouvait être mis sur le même rang que Renan et Taine, les deux grands morts de l’an dernier… Et ce n’est pas seulement la France qui pleure sur cette tombe du maître des neurologistes, mais le monde médical tout entier, car son œuvre a dépassé les limites de sa patrie. Le secret de sa grandeur et des progrès de notre science est dans ce fait qu’en lui les qualités du savant français avaient été portées dans toute leur pureté à un degré incomparable, si bien qu’on a pu dire qu’il personnifiait le génie national. »

Charcot ne s’est pas seulement préoccupé de la science et de l’enseignement de la médecine, il était médecin, et, pendant toute sa carrière, il a rempli ses devoirs professionnels avec l’exactitude qui était sa règle en toutes choses. Pendant son internat, on le vit lutter contre une épidémie meurtrière du choléra ; pendant le siège, on le vit prodiguer ses soins aux blessés et aux malades de l’armée que la Salpêtrière avait reçus dans des constructions temporaires. Malgré sa rudesse apparente il s’était acquis et il a conservé jusqu’aux derniers jours l’affection de toute la population de cet immense hospice. C’est que tous, qu’il en eût ou non la charge, étaient sûrs de le trouver prêt, à l’heure où ils en auraient besoin, à venir à leur secours. Même lorsqu’il était le plus absorbé dans le travail du laboratoire, si l’interne venait lui