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La physionomie de Charcot a évoqué longtemps le souvenir du Premier Consul ; le soin avec lequel il se rasait la face et les tempes, ses cheveux plats, contribuaient à entretenir l’illusion. Avec l’âge, les traits s’étaient épaissis, mais le regard avait conservé son énergie ; l’embonpoint l’avait fléchi et accentuait la voussure familiale, mais l’attitude était restée ferme et indiquait la force.

Ceux qui connaissaient le professeur, le savant et le médecin, et savaient quelle somme considérable de travail il était capable de fournir, ne pouvaient pas douter que Charcot jouissait d’une organisation physique à toute épreuve. Leur respect et leur admiration n’auraient pu que s’accroître s’ils avaient su qu’il n’en était rien. Depuis le début de ses luttes, Charcot suivait par l’analyse chimique les oscillations d’un mal qui subissait l’influence des intempéries, du travail physique et intellectuel et des émotions morales. Il n’en ignorait pas les risques, qui sous son inspiration ont fait l’objet de deux mémoires de ses élèves ; il savait que le lendemain n’était pas sûr ; mais à voir son zèle sans défaillance ceux qui l’aimaient s’habituaient au danger, lui-même finit par l’oublier. Quand on lui rappelait le danger d’un excès de travail, il répondait : « Que voulez-vous, je n’ai pas fini, et puis le travail est encore le meilleur tonique. » Il était sujet, entre autres accidens de sa maladie, à des douleurs lombaires extrêmement violentes qui le tourmentaient pendant de longues périodes où il interrompait rarement ses travaux, faisant sa visite à l’hôpital, recevant des malades à sa consultation pendant six ou sept heures sans désemparer, et, le soir, préparant sa leçon du lendemain. Ceux de ses patiens qui remarquaient quelquefois une distraction de son regard ignoraient, qu’il tenait à grand’peine la place en calmant ses propres douleurs avec des boules d’eau chaude dissimulées dans le dossier de son fauteuil.

L’état de sa santé et l’incertitude du lendemain, qui ne lui permettaient pas de perdre ses forces et son temps, font, comprendre certaines irritations contre les obstacles, certaine intolérance de la contradiction. Il fallait se presser et profiter de toutes les occasions. Ses élèves concouraient à son succès, il les soutenait avec toute son énergie. On lui a reproché l’âpreté qu’il mettait à ces luttes ; ceux qui connaissent bien les mœurs de l’école voudront peut-être admettre qu’il différait surtout de ses adversaires par la franchise. Du reste, en général, ceux à l’élévation desquels il a contribué ne se sont pas montrés inférieurs à leur situation ; si on peut citer quelque exception, ce n’est pas à un défaut de son jugement qu’il faut l’attribuer, ni au besoin de prouver sa puissance : c’est à une particularité de son tempérament. Charcot a