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les plus remplies de ce siècle. Depuis sa jeunesse, la vie avait modifié la plupart de ses idées fondamentales : tory renforcé ù ses débuts, il se convertissait au libéralisme dans son âge mûr et la vieillesse le surprenait presque radical. Protectionniste à outrance dans son premier passage au pouvoir, l’expérience en faisait, dix ans après, un apôtre convaincu du libre-échange. De même son premier livre, en 1838, était pour défendre l’Église établie, et après avoir quitté le ministère en 1845, pour ne pas s’associer à certaines mesures favorables à des établissemens d’éducation catholique, il demandait peu d’années après le désétablissement de l’église d’Irlande et était sur le point de proposer la même mesure pour le pays de Galles et l’Ecosse. Pour l’Irlande enfin, de partisan de la coercition à outrance, il terminait sa carrière en se faisant le promoteur du home rule. Peu à peu il passait au crible de sa raison les opinions premières qu’il avait trouvées toutes faites dans son entourage et n’hésitait pas à combattre passionnément des principes qui ne lui paraissaient plus vrais. Le spectacle de cette énergie a quelque chose d’émouvant, et l’on aima constater, il y a quelques mois, que, malgré l’acharnement de la lutte sans précédent sur le home rule qui occupa toute l’année dernière, les passions politiques firent un instant silence pour permettre au leader de l’opposition, M. Balfour, d’offrir, à l’occasion du 84e anniversaire de sa naissance, l’hommage gracieux de la Chambre des communes au doyen des ministres du continent.

Quant à lord Rosebery qui, en prenant la place de M. Gladstone dans le ministère, a appelé à la direction des Affaires étrangères lord Kimberley, un diplomate qui a fait partie déjà de plusieurs cabinets, c’est l’un des plus jeunes premiers ministres qu’ait eus l’Angleterre. Héritier en 1871 du titre de son grand-père à la Chambre des lords, il devint en 1886 chef du Foreign Office à la place de lord Granville. Sa prédilection pour la politique extérieure, que M. Gladstone lui confia il y a huit ans, et lui avait totalement abandonnée depuis son retour aux affaires en 1892, continuera sans doute à faire de lord Rosebery le maître effectif de ce département.

C’est toutefois à l’intérieur que le nouveau premier ministre va rencontrer au début les plus sérieuses difficultés. Avec les Irlandais douteux, les radicaux franchement hostiles, les Gallois mécontens, le parti libéral sera difficile à conduire et il est certain qu’il ne prendra une homogénéité suffisante qu’après avoir passé au creuset de nouvelles élections générales. Avant sa démission, M. Gladstone, dans un discours que l’on peut regarder comme son testament politique, a lancé une déclaration de guerre contre la Chambre des lords qui repousse systématiquement les bills proposés par les Communes ; et, par une piquante singularité, c’est un membre de cette assemblée à laquelle il a jeté le gant qui vient de recueillir sa succession. La tâche n’est pas au reste pour déplaire à lord Rosebery, puisqu’en 1888 il formula lui-même