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fera une révolution par voie de réformes, au lieu de faire, comme tant d’autres pays, une réforme par voie de révolution. Pour le moment, la question est de savoir si le nouveau ministère pourra vivre, sans être acculé à la dissolution dans un délai assez rapproché.

Le remaniement ministériel qui vient d’avoir lieu à Madrid, comme à Londres, y soulèverait de moins gros problèmes, si la situation financière de la Péninsule ne pesait d’un poids très lourd sur toute la politique espagnole. M. Sagasta, en adroit stratégiste, a choisi pour remettre sa démission à la régente le moment où le cabinet qu’il préside venait de remporter un succès par l’heureuse issue du conflit hispano-marocain. Le maréchal Martinez Campos, reçu le 31 janvier par l’empereur du Maroc, lui soumit les réclamations de l’Espagne au sujet des événemens qui avaient eu lieu en octobre 1893 dans le Riff, autour de Melilla, lorsque le commandant de cette place avait exécuté des travaux de fortifications avancées sur le territoire dont les Espagnols étaient, en vertu de la cession faite en 1860, légitimes propriétaires. Au nom de son gouvernement, le maréchal demanda à Sa Majesté Chérifienne de réparer le dommage fait par ses sujets et de prendre désormais de meilleures dispositions pour assurer l’exécution des traités.

Il fit remarquer que c’était uniquement par égard pour l’empereur du Maroc que l’Espagne s’était abstenue d’infliger une leçon terrible aux Kabyles du Riff, comme elle aurait pu facilement le faire avec les forces réunies sous les ordres du maréchal Campos lui-même, qui, de général en chef, s’était transformé en plénipotentiaire. L’Espagne demandait au Maroc de garder sur sa frontière un caïd et des troupes suffisantes pour contenir les tribus ; elle réclamait une délimitation des frontières respectives et de la zone neutre, de laquelle elle désirait que l’empereur fit disparaître le plus tôt possible tous les édifices particuliers et religieux des Arabes. Enfin elle estimait avoir droit à une indemnité, tant en raison des agressions kabyles contre son territoire en Afrique, qu’à cause des dépenses considérables que ce conflit lui avait imposées en Espagne. Le maréchal établit le compte de ces dépenses qui, disait-il, se trouveraient monter à près de 50 millions de francs ; il se contenterait néanmoins de 25 millions et donnerait au Maroc du temps et des facilités pour les payer.

L’empereur Mouley-Hassan, évidemment animé des sentimens les plus pacifiques, renouvela ses regrets de ce qui s’était passé, se montra très courroucé contre les Kabyles, mais discuta point par point toutes les réclamations espagnoles. Il objecta que le gouvernement de Madrid, prévenu d’avance par les autorités marocaines des dispositions hostiles des Arabes, aurait pu se concerter au début avec lui pour prendre des mesures qui auraient empêché l’effusion du sang. Il insista beaucoup sur le fait que ces tribus turbulentes avaient précisément tiré de Melilla, grâce à une surveillance insuffisante de la contrebande