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de les réunir. Ils attaquaient isolément et se faisaient battre en détail. C’est ainsi que Rome n’a eu presque jamais à combattre en Afrique qu’un ennemi à la fois, ce qui lui rendait la victoire plus aisée. Si cependant il arrivait qu’un chef plus important, plus populaire, fît cesser pour un temps les défiances et les inimitiés parmi les nomades des hauts plateaux et du Sahara, et réunît sous son commandement ces foules indisciplinées, si les frontières étaient menacées de plusieurs côtés, et qu’on prévît une guerre longue et difficile, on avait la ressource d’appeler des troupes des pays voisins. Nous avons la preuve que, dans les circonstances graves, il est arrivé des légions non seulement de l’Espagne et de la Cyrénaïque, mais même de la Syrie et des bords du Danube. C’était un puissant effort et une grande dépense ; mais les Romains étaient convaincus avec raison que ces sortes d’insurrections devaient être arrêtées promptement, et qu’en Afrique surtout une répression vigoureuse et rapide pouvait seule les empêcher de s’étendre et de se renouveler. C’est par ces mesures habiles, l’aménagement heureux de leurs forces, la rapidité de leurs mouvemens, leur énergie, leur décision dans les momens critiques, leur connaissance du pays et des peuples qui l’habitaient, enfin l’appui que se prêtaient entre elles les troupes des diverses provinces, que les Romains suppléaient à la faiblesse de leurs effectifs, et qu’avec des armées qui nous semblent insuffisantes, ils ont dominé et gouverné l’Afrique pendant cinq siècles.

Il faut dire pourtant que les troupes que je viens d’énumérer ne sont probablement pas les seules qu’ils aient employées dans leurs provinces africaines. M. Cagnat pense qu’ils en avaient d’autres, dont on ne parle guère, et qui pouvaient leur rendre de grands services. On a remarqué que, parmi les cohortes et les ailes de l’armée auxiliaire établies en Numidie et en Maurétanie, il n’y en a que trois ou quatre dont le nom nous apprenne qu’elles avaient été levées dans le pays[1]. C’est ce qui est de nature à nous causer quelque surprise. Nous venons de voir que les Romains enrôlaient volontiers dans leur armée les bons soldats qu’ils trouvaient dans les États qu’ils avaient soumis : pourquoi auraient-ils négligé de le faire en Afrique ? Elle leur pouvait fournir des fantassins invincibles à la fatigue, et surtout, ce qui leur était plus utile, une cavalerie incomparable. Il faut donc croire que, s’ils n’en ont pas formé des ailes et des cohortes, comme ils faisaient ailleurs, c’est qu’ils les employaient d’une autre façon. Tacite, nous parlant d’un général qui commandait aux deux Maurétanies, nous dit qu’il avait sous ses ordres dix-neuf cohortes et cinq ailes de

  1. Il ne s’en trouve pas non plus dans les autres provinces de l’empire.