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as trop de richesses, part à deux. » Est-ce tout ? Non. On y trouve encore, à propos de l’exécution de Vaillant, des phrases comme celle-ci : « Jésus-Christ, le grand martyr et le grand révolutionnaire. » (Camille Desmoulins parlait déjà du sans-culotte Jésus-Christ). Ou bien des vers où l’on met dans la bouche divine des expressions tellement odieuses que l’évêque se fâche et impose une rétractation. Quoi encore ? Des injures, ou des lazzis à l’adresse des riches « qui donnent aux pauvres leurs restes » ou qui croyaient « qu’ils pouvaient continuer tranquillement leurs petites aumônes ». Mais de remède pratique, de solution positive, rien, jamais rien.

Cette étrange affirmation que l’Église a mission de résoudre au point de vue économique la question sociale, ne se trouve-t-elle que dans la bouche de prédicateurs novices, ou sous la plume de publicistes inexpérimentés ? Malheureusement non. Il faut convenir qu’elle reçoit encore des encouragemens qui viennent de haut. Je ne parlerai pas de l’étrange campagne entreprise en Belgique par un chanoine, avec l’encouragement d’un ou deux évêques, qui n’aboutirait à rien moins qu’à exproprier les industriels de leurs usines et les propriétaires de leurs fermes, en enlevant aux uns le droit de choisir leurs ouvriers et de fixer leurs salaires ; aux autres, celui de débattre le prix auquel ils entendent louer leurs terres, et qui transfère ce droit à une collectivité chargée de stipuler en leur nom. Je veux seulement rappeler ici le langage qui a été tenu à des oreilles françaises. Il y a deux ans, un prélat américain très en faveur, qui se rendait de Rome aux États-Unis, s’est arrêté à Paris. Un auditoire d’élite a été rassemblé pour le recevoir. Des prêtres et des jeunes gens lui ont fait fête, et il leur a tenu un langage que des publications catholiques ont au moment même et depuis lors reproduit avec enthousiasme. Aux prêtres, il a dit : « Que l’ouvrier et le marchand sachent bien que, si nous voulons leur assurer le bonheur du ciel, nous prétendons aussi leur donner le bonheur sur la terre… Léon XIII comprend son temps. Il sait qu’il est inutile de promettre uniquement des récompenses dans le ciel, à moins qu’on ne puisse tout de suite escompter ces promesses et en donner des preuves dans le temps. Le peuple vous croira plus si vous commencez par là. » Et aux jeunes gens : « Un écrivain anglais a très bien dit : Ne prêchez pas l’Évangile à un estomac vide. Il n’écoutera pas. Et c’est vrai comme règle générale. Il faut donc dire : Ne prêchez pas trop souvent la vertu, à moins que le milieu dans lequel ces pauvres hommes vivent ne soit tel que la vertu soit facile. » Dans un sermon prononcé aux États-Unis, mais traduit dans une Revue