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la province proconsulaire contre les Gétules et les Garamantes, c’est-à-dire contre les barbares du Sud-Est. Lorsque la domination romaine s’étendit vers l’Ouest, et qu’il fallut arrêter les incursions des gens de l’Aurès et du Sahara, la légion fut transportée à Lambèse. Elle venait d’y arriver et commençait à construire son camp, lorsqu’elle reçut la visite de l’empereur Hadrien. Cet infatigable voyageur, qui passa sa vie à parcourir son empire, voulut se rendre compte par ses yeux de l’état de son armée d’Afrique. Il fit manœuvrer les légionnaires devant lui ; il les vit travailler à des fortifications de campagne, construire des murs, creuser des fossés ; il assista à des simulacres d’attaque et de défense de places fortes. Il inspecta aussi les auxiliaires, et fut ravi de l’aisance avec laquelle les cavaliers de la sixième cohorte des Comagéniens faisaient leurs conversions, chargeaient l’ennemi en rangs serrés, et tour à tour maniaient la fronde ou lançaient les traits. L’inspection finie, il témoigna sa satisfaction aux troupes dans une sorte d’ordre du jour de forme oratoire, dont la légion dut être très fière, et que nous avons conservé[1].

Le camp de la troisième légion, que l’on était alors en train de bâtir, n’est pas tout à fait le même que nous avons sous les yeux. Il semble que certaines parties aient eu besoin assez vite d’être restaurées ou reconstruites. On y travaillait dès le règne de Marc-Aurèle, et nous voyons la légion occupée alors à consolider des tours qui sans doute menaçaient de s’écrouler. Il dut souffrir beaucoup des troubles qui désolèrent toutes les provinces au troisième siècle et qui firent tant de ruines. Et même, en dehors des réparations de détail, que le malheur des temps devait rendre souvent nécessaires, on ne peut douter qu’on n’ait été forcé d’en remanier plus d’une fois l’ensemble pour l’approprier aux changemens que l’armée a subis sous l’empire. Ces changemens ne se sont pas accomplis d’un seul coup. Les réformes d’Auguste, dont ils étaient la suite naturelle, ont mis du temps à produire tous leurs effets, et c’est peu à peu, par degrés, qu’elles sont arrivées à modifier tout à fait le caractère de l’ancienne armée romaine.

Voici, par exemple, une innovation qui s’est produite assez tard et dont les résultats ont été très graves. On comprend qu’il fût interdit aux soldats de se marier quand ils ne servaient qu’une saison, et que même on empêchât les femmes de rôder autour des camps, quoiqu’il ne fût pas toujours facile de l’obtenir. Les généraux sévères y tenaient la main, tant que dura la république. Scipion, à Numance, éloigna d’un coup deux mille femmes dont la présence avait fort affaibli la discipline militaire dans son

  1. Il est aujourd’hui au musée du Louvre.