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D’abord ils ont épargné sur leur solde, qui suffisait amplement à tous leurs besoins, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, avec une sincérité peu commune[1]. Mais ce qui leur rapportait encore plus, c’étaient les dons que les empereurs leur faisaient en certaines circonstances. Auguste en avait donné l’exemple à ses successeurs : il leur était si important de s’attacher l’armée qu’ils se ruinaient en libéralités pour elle. De ces sommes que les soldats devaient à la munificence impériale, ils ne touchaient réellement que la moitié ; le reste était versé dans une sorte de Caisse d’épargne et placé sous la garde du drapeau. « Voilà pourquoi, dit Végèce, on choisit, pour être porte-drapeau, des gens qui non seulement soient honnêtes, mais qui sachent compter, car ils ont à la fois une caisse à garder et des livres à tenir. » La part de chacun lui était remise, quand il quittait le service, et s’ajoutait à ce qu’il touchait pour sa retraite, ce qui lui faisait quelquefois une petite fortune. Il la laissait, en mourant, à ses parens ou à ses amis, et ses héritiers reconnaissans lui bâtissaient une tombe sur laquelle ils avaient soin d’inscrire, avec quelques mots d’affection, la mention de ses états de service. Les pierres de ce genre se retrouvent à chaque pas le long des grandes routes qui entourent Lambèse.

Parmi les débris qui couvrent le prætorium, on a remarqué un certain nombre de monumens, d’une médiocre étendue, qui ont la forme d’un rectangle dont un des côtés est arrondi en abside. C’étaient les salles où se réunissaient les lieutenans (optiones), les joueurs de trompettes (cornicines), les sergens-majors (tesserarii) les éclaireurs (speculatores), à leurs momens de loisirs ; on appelait ces salles scholæ, nous dirions aujourd’hui des cercles. Les empereurs avaient autorisé diverses catégories d’officiers à former des associations, ou, pour employer le mot propre, des collèges, et ils laissaient ces collèges bâtir leurs scholæ au milieu du camp, ce qui était un moyen de les surveiller de plus près. Les associés versaient tous les ans à la caisse commune une certaine somme dont une partie leur était rendue quand ils quittaient le service, ou, s’ils mouraient avant leur retraite, servait à les faire enterrer convenablement. Le souci de la sépulture était, sous l’empire, le motif ou le prétexte de toutes les sociétés de ce genre ; elles ne semblaient exister que pour assurer à leurs membres une tombe et un convoi décens : toutes sont, au moins en apparence, des associations pour les funérailles (collegia funeraticia) ; mais ce n’était qu’une étiquette ; les nôtres paraissent avoir d’autres

  1. Les lieutenans des centurions, faisant construire une salle pour leurs réunions et l’ayant ornée des images de leurs dieux protecteurs et de la famille impériale, nous disent qu’ils ont pu faire cette dépense grâce à la solde qui leur est très libéralement payée : ex largissimis stipendiis. Il n’est pas commun de trouver des fonctionnaires qui ne se plaignent pas de leurs appointemens.