Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/509

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se précipitaient dans les plaines, ravageaient les fermes, enlevaient les troupeaux ; pénétraient même dans les villes, les mettaient au pillage, et avaient disparu avant qu’on eût pu se réunir pour se défendre. Quand l’armée romaine parvenait à les atteindre, elle en avait facilement raison. Les généraux faisaient alors de beaux bulletins et recevaient les ornemens du triomphe. Mais pendant qu’à Rome on remerciait les dieux de ces succès et qu’on proclamait que la guerre était terminée, Tacfarinas, qui avait refait son armée, reparaissait sur la frontière, et c’était à recommencer. Il fallut, pour en finir, avoir recours à la tactique qui donna plus tard la victoire à Bugeaud, former des colonnes mobiles qui entourèrent l’ennemi de tous les côtés et se resserrèrent successivement sur lui, l’enfermer dans un cercle de plus en plus étroit, le poursuivre dans ces contrées inaccessibles où il avait ses réserves d’hommes et de provisions, jusqu’à ce qu’il fût abandonné et trahi par les siens, qui se lassaient de le suivre.

Les grandes guerres ne sont pas pourtant ce qui a coûté le plus de peine à l’armée et lui a fait courir le plus de risques. Les petites incursions, qui se renouvelaient sans cesse et finissaient par lasser la patience des soldats, étaient bien plus dangereuses. La situation de l’Afrique n’était pas tout à fait celle des autres provinces de l’empire. La Gaule, par exemple, une fois conquise, l’a été entièrement. La domination romaine s’est très vite étendue à tout le pays : il n’y a pas eu de montagne assez haute, de rivière assez profonde, de forêt assez épaisse pour en arrêter les progrès. Les légions qui surveillaient les bords du Rhin n’avaient à regarder qu’en face d’elles ; si elles empêchaient les barbares de passer, tout était tranquille ; par derrière, elles n’avaient pas d’ennemis. Il en était autrement en Afrique. La configuration du pays, qui place des contrées sauvages au milieu de contrées fertiles, le rend très difficile à garder. La nature semble s’être chargée d’entretenir la barbarie auprès de la civilisation, en lui procurant, au milieu même des terres les plus riches, des asiles à peu près inabordables. C’est ce qui a rendu la pacification de l’Algérie si difficile à nos troupes. Les Romains avaient eu les mêmes difficultés à vaincre, et il ne me semble pas qu’ils les aient aussi vite et aussi complètement surmontées que nous.

Après plusieurs siècles de domination, ils n’étaient pas aussi avancés que nous le sommes. Il y a déjà trente-cinq ans que nous avons conquis la Kabylie, et tous les jours nous la pénétrons davantage. Vers le milieu du troisième siècle, sous Dèce, les Romains n’étaient pas encore solidement établis dans le massif du Babor et du Djurjura. Cette citadelle de montagnes contenait une réserve de tribus barbares toujours prêtes à se jeter sur les villes qui