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les comédiens obtinrent de Sa Majesté la concession provisoire de la salle des machines aux Tuileries (pavillon de Marsan), 1770. L’inauguration du nouveau théâtre eut lieu en avril 1782, et la soirée fut tumultueuse, malgré la présence de la reine, de ses beaux-frères et belles-sœurs. La salle contenait 1 913 places, depuis une livre dix sols jusqu’à 6 livres, le parterre, autrefois debout, était assis, et l’on avait supprimé la claque. Bien entendu, les critiques allaient bon train : façade trop massive, distribution médiocre nuisant à l’acoustique, blancheur uniforme des ornemens donnant la sensation d’une carrière de sucre blanc, défauts de goût, par exemple les douzes signes du zodiaque placés autour d’un lustre qui représentait le soleil ; — et les mauvaises langues de prétendre que Mlle J…, M. de B…, occupaient des loges dominées par la Vierge, par le Capricorne. « Les sourds, remarque Métra, se plaignent qu’on n’y entend pas, les cacochymes qu’il y fait froid, les jolies femmes qu’on n’y voit goutte, les jeunes gens que le parquet est trop cher ; ce sont les seuls qui ont raison. »

C’est cette même salle que quitta en 1791 la fraction démocratique de la Comédie pour établir un second théâtre français réclamé par la grande majorité des gens de lettres : elle passa les ponts, et émigra rue Richelieu dans une vaste salle ouverte en 1790 sous le titre de Variétés amusantes, qui est la salle actuelle de la Comédie-Française ; ses directeurs Dorfeuille et Gaillard y donnaient des drames, des pièces à intrigues, quelques comédies ; ils avaient Monvel depuis un an, et accueillirent avec empressement les transfuges du faubourg Saint-Germain, Talma, Dugazon. Grandménil, Mme Vestris sœur de Dugazon, Mlles Desgarcins et Lange. L’ouverture se fit le 27 avril 1791, avec Henri VIII de Chénier, qui réussit fort bien, malgré la cabale de la troupe rivale. Palissot ne manqua point de crier à la persécution, de dévoiler les intrigues des rétrogrades, en même temps qu’il faisait l’éloge du nouveau théâtre qui ne devait son existence qu’à leurs injustices. Ceux-ci le traitèrent d’imposteur : les uns et les autres n’avaient pas tout à fait tort.

Mlle Desgarcins, une des amoureuses de Talma, avait débuté brillamment en 1788, à l’âge de 18 ans ; on admirait la mélodie de sa voix, une exquise expression de mélancolie dans son regard, la grâce touchante d’un talent qui possédait le secret des larmes : dans les rôles d’Hédelmone et de Saléma, elle ravissait les moins