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l’harmonie, cette grâce, cette coloration de la parole qui perpétue la beauté écrite. Et ces préceptes, il les met en pratique avec un art consommé, sans qu’un long séjour en Suède, où le roi remploya en qualité de lecteur ordinaire, arrête un instant son élan vers la perfection. Jamais le public ne manqua de lui appliquer ce vers :


Où prenez-vous ce ton qui n’appartient qu’à vous ?


Et dans l’Abbé de l’Epée, de Bouilly, lorsqu’il disait : « Je serai peut-être un peu long, » toute la salle répondait : « Tant mieux ! » La manière dont il rendit le rôle d’Auguste fut une révélation pour Napoléon, qui sans doute ne voyait dans son jeu que ce qu’il voulait y voir :

« Il n’y a pas longtemps, dit-il à Mme de Rémusat, que je me suis expliqué le dénouement de Cinna. Je n’y voyais d’abord que le moyen de faire un cinquième acte pathétique, et encore, la clémence proprement dite est une si pauvre petite vertu, quand elle n’est pas appuyée sur la politique, que celle d’Auguste, devenu tout à coup un prince débonnaire, ne me paraissait pas digne de terminer cette belle tragédie. Mais, une fois, Monvel, en jouant devant moi, m’a dévoilé tout le mystère de cette grande conception ; il prononça le : Soyons amis, Cinna, d’un ton si habile et si rusé, que je compris que cette action n’était que la feinte d’un tyran, et j’ai approuvé comme calcul ce qui me semblait puéril comme sentiment. Il faut toujours dire ce vers de manière que, de tous ceux qui l’écoutent, il n’y ait que Cinna de trompé. »

Acteur et liseur du premier ordre, homme de lettres du troisième, Monvel donna au Théâtre-Français, à l’Opéra-Comique un certain nombre d’ouvrages où la chaleur du dialogue et l’habileté scénique dissimulent imparfaitement la médiocrité du style et la faiblesse de l’invention. Le public en général leur faisait bon accueil, et plus d’une fois sans doute, la musique de Dezède, de Dalayrac décida leur succès. Le jour où l’on représenta Blaise et Babet, il jouait de son côté le rôle du métromane dans la Métromanie, et rendit au naturel le monologue où M. de l’Empyrée peint les angoisses de l’auteur devant un parterre houleux :


Tantôt bruyant, tantôt dans un profond silence…


Au dénouement, lorsque la soubrette le désigne :


Tenez, voilà l’auteur que l’on vient de siffler…


un amateur qui sortait de l’Opéra-Comique s’écria fort à propos : « Non, non, qui vient de réussir. » Des applaudissemens prolongés saluèrent la nouvelle, et l’auteur fut embrassé par tous les acteurs.