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C’est là que le Bouddha, le vainqueur des trois mondes
Enseignait dans la paix ses disciples choisis ;
Illusions, désirs et haines vagabondes
Fuyaient comme un nuage aux contours indécis.
Son verbe fort frayait les quatre voies sublimes ;
Son verbe lumineux sous le cèdre géant
Était pareil aux eaux ruisselantes des cimes :
On les entend mugir d’abîmes en abîmes,
Mais leurs torrens sans nombre ont soif de l’Océan.

Il disait : « Écoutez ces ondes
Que nul vallon ne peut saisir ;
Sentez la détresse des mondes
Perdus aux gouffres du désir.
Les bêtes dans les bois rugissent,
Les hommes se tuent, se maudissent
Et Haine, Amour, Plaisir, Remords,
La Maladie avec la Mort,
Font tourner cette roue immense
Qui toujours crie et recommence.
C’est le Vampire-Volupté,
C’est le Désir, la soif de vivre
Pour soi, dont l’homme vain s’enivre
Qui tue en lui la Vérité !

Ces maux de l’Univers, sachez-le, sont les vôtres,
Car vous les enfantez dans l’âpre passion.
Oubliez-vous ; mourez dans la douleur des autres
Par la Pitié, mère de la Rédemption.
À l’amour infini vous vous sentirez naître
Et vous respirerez un souffle vaste et pur ;
Votre âme se fondra dans l’Océan de l’Être
Comme la goutte claire au sein du lac d’azur. »

« — O Maître, avec toi je m’enivre
Du ciel sans borne où vont tes pas.
L’œil ébloui je veux te suivre ;
J’essaye, — mais je ne puis pas.
J’ai beau souffrir, — j’aime la vie.
Dans ma poitrine inassouvie
Les colombes avec les fleurs
Sèment des mots ensorceleurs ;
La nature ardente, infinie,