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Me trouble avec sa symphonie.
Bientôt les roses vont fleurir.
L’univers chante dans mon âme,
Et c’est du baiser d’une femme
Que je voudrais vivre et mourir ! »

Ainsi parlait, le cœur ouvert et l’œil limpide,
Anannda, du Bouddha le disciple très cher.
Anannda rayonnait d’un front chaste et languide
Comme un rêve d’amour descendu dans la chair.
Le Maître gravement lui répondit : « J’éveille
L’esprit qui dort, mais la douleur t’enseignera.
Je t’ai montré la cime aux splendeurs sans pareilles.
La forêt des vivans va t’ouvrir ses merveilles ;
Viens, suis-moi dans le monde où ton cœur pâtira. »


II. TENTATION


Tous deux, le Maître et le disciple,
Le jeune homme et le Baghavat,
Descendent l’escalier multiple
Aux larges flancs de l’Himavat.
Et dans la plaine, au bord du fleuve
Où la caravane s’abreuve,
Voici Hadinour, la cité
D’où sort un vent de volupté.
Près de la grande porte, un groupe
De femmes s’agite et s’attroupe
Devant le rischi pour le voir.
Elles se tordent et gémissent,
Et de leurs bouches qui frémissent
Jaillit ce cri de désespoir :

« — Raoula, la démonne et courtisane et chienne,
De son charme infernal désole Hadinour ;
Prêtresse de Kali, la sombre magicienne
Nous ravit nos époux, nos fils comme un vautour,
Délivre-nous ! Qu’à ton regard l’Infâme expire…
Son autre est la forêt terrible — que voilà ! »
Çakia Mouni leur dit avec un doux sourire :
« — Je ne suis point venu sur terre pour détruire,
Mais pour sauver. Allons, mon fils, vers Raoula. »