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opposant d’une façon sommaire ce mot d’idéalisme au mot de réalisme Idéaliste, oui ; mais réaliste au même degré, parce que tout idéal doit sortir du réel, rester simplement un agrandissement, une transfiguration du réel, au risque de n’être plus que pure divagation, ou, disons plus modérément, pure convention. En Allemagne, l’art oscillera toujours entre ces deux pôles : idéalisme et réalisme, qui ne sont que les deux extrémités d’une même ligne. En France, il en est autrement : c’est vers l’abstrait, — qui n’est pas l’idéal, qui est une généralisation et non une transfiguration, — que nous porte notre tempérament ; et c’est entre l’abstrait et le concret que gravitera toujours notre art national. Je ne puis faire ici qu’effleurer ces questions, qui demanderaient, je le sais bien, de très amples développemens. Je n’ignore pas non plus que ces deux ordres d’idées, loin d’être complètement distincts l’un de l’autre, comme je viens de le dire, s’entremêleront au contraire bien souvent, et parfois jusqu’à se confondre ; mais c’est pour cela que je crois d’autant plus utile de nettement les différencier. Je voulais d’ailleurs simplement spécifier ce que j’entendais dire en affirmant que le réalisme peut et doit trouver en Allemagne un excellent terrain de développement ; et je voulais mieux indiquer par là, puisqu’il s’agit ici tout spécialement de l’art dramatique, la valeur de tout le mouvement qui peut se constater depuis quelques années dans les théâtres d’Allemagne.

Si l’on voulait en retrouver les premiers symptômes, — dans la seule libation contemporaine, bien entendu, — il faudrait remonter jusqu’à Wagner. On pourrait en même temps constater que là où Wagner, avec son merveilleux instinct et sa compréhension géniale des conditions mêmes du théâtre, avait surtout vu un moyen, on voit peut-être maintenant trop un but. Mais cette constatation même ne fera que confirmer ce que j’ai dit du mouvement actuel des théâtres en Allemagne. Il faut ajouter aussi que tout naturellement pour les drames historiques, les pièces modernes, drames ou comédies, les exigences de la scène ne sont pas les mêmes que pour le drame tel que l’a conçu Wagner il y a déjà quarante ans. Revenons donc à une période plus proche de nous, et nous verrons que le mouvement actuel se rattache d’une façon directe et immédiate à l’influence exercée par la Société du théâtre de Meiningen, dont on connaît la tâche réalisée : revivifier les drames historiques, les grandes pièces classiques, par un abandon de toute tradition purement conventionnelle, par un souci scrupuleux de l’exactitude et de la vérité historique dans les décors et les costumes, par une mise en scène et une interprétation constamment plus naturelles et plus vivantes, où chacun puisse toujours innover selon son sentiment propre et sa manière personnelle de comprendre le drame.

L’effort fait par les Meininger n’était pas un phénomène isolé. Il ne