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sous quelque sanctuaire de vaines reliques consacré par la superstition. Il remontait de l’ancien régime à la Révolution, de la Révolution au régime napoléonien, base de toutes nos constructions actuelles ; il se rapprochait, le cheminement allait déboucher sous nos pieds : Taine en serait ressorti au cœur même de notre vie présente, pour nous dire le secret de ses investigations et la valeur sociale de cette vie. Comme il touchait au but, l’outil lui tomba des mains ; à ce labeur formidable, le mineur avait creusé son propre tombeau.

Le plan de ce dernier tome comportait l’étude de l’Eglise, de l’École, de la Famille, telles que le système napoléonien les a façonnées, et les conclusions de l’auteur sur la société engendrée par ces facteurs essentiels. La mort a raccourci la tache de l’historien philosophe. On n’a pas jugé à propos de nous donner l’ébauche des parties inachevées. Une courte préface, écrite par le disciple le mieux initié à la pensée du maître, marque discrètement les prolongemens de cette pensée ; les deux chapitres de l’Eglise et de l’Ecole composent à eux seuls le volume définitif. Je doute qu’il y ait dans toute l’œuvre de Taine deux morceaux plus solides, plus expressifs de son génie particulier ; jamais peut-être il n’avait enveloppé, vidé un sujet avec moins de mots, avec plus de force ramassée. Telles deux pierres romaines, abandonnées dans le désert, attestent la place d’un temple magnifique et l’art souverain des dominateurs qui bâtissaient avec de pareils matériaux.

Interrogeons un instant la signification de ces témoins. Je ne prétends pas revenir ici sur l’ensemble des Origines ; tout au plus, et incidemment, sur l’avant-dernier volume, le premier du Régime moderne : les fragmens qui nous occupent s’y rattachent étroitement ; ils continuent, dans le même esprit, l’étude de l’institution napoléonienne et des conséquences qu’elle porte pour notre avenir.


I

Ironie cruelle, et qui met sur les pages du livre inachevé une tristesse de plus, une tristesse de défaite ! L’apothéose de Napoléon a commencé sur la tombe de Taine. Ces volumes accusateurs n’ont servi qu’à exhausser le piédestal de la statue relevée. Leur note isolée expire et détonne dans le concert d’acclamations qui salue à cette heure l’Empereur. — L’historien avait réussi à ébranler la religion révolutionnaire ; ses jugemens audacieux, accueillis d’abord par les fidèles comme un paradoxe et un