Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA
GUERRE ET LA PAIX PERPETUELLE

L’idée que l’homme se fait de la guerre dépend de l’idée qu’il se fait de lui-même, de la façon dont il entend ses droits et de la valeur qu’il attache à sa propre vie. Dans les monarchies antiques de l’Orient, cette valeur était presque nulle ; les Assyriens, les Égyptiens, qu’une volonté souveraine et sacrée, qui ne daignait pas s’expliquer, envoyait mourir par milliers sur les champs de carnage, pouvaient bien chercher à se dérober à leur triste sort, ils ne songeaient pas à reprocher son injustice à leur maître : discute-t-on les volonté du Ciel ? Les Romains et les Grecs n’avaient d’autre souverain que la loi ; mais on leur avait appris dès leur enfance que l’individu est tenu de se sacrifier en tout et partout aux intérêts de la cité, et Moine, seul juge de ses intérêts, avait décidé que dans l’espace de sept siècles le temple de Janus ne serait fermé qu’une fois. Les sociétés chrétiennes ont souvent maudit les horreurs de la guerre, elles ne l’ont jamais considérée comme une iniquité. Le christianisme est une religion de paix, mais il enseigne que la vie d’ici-bas n’est qu’une préparation à la vie éternelle, et qu’elle n’a par elle-même que le prix qu’on peut attacher à un bien vif et périssable. C’est sous l’influence de la philosophie du XVIIIe siècle que la personne humaine acquit une valeur qu’on ne lui avait jamais reconnue, et que le législateur commença d’attribuer aux derniers des mortels des droits imprescriptibles, sur lesquels l’État ne saurait entreprendre. Dès lors on dit leur fait aux conquérans, on instruisit leur procès, on leur demanda compte du sang versé. Cela n’empêcha pas la France révolutionnaire et l’Europe monarchique de se battre avec fureur durant plus de vingt ans. On s’était tant battu qu’on n’en pouvait plus ; le repos semblait désormais le premier des biens, et les philanthropes