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condamné l’homicide, mais on lit dans le Deutéronome et ailleurs : « Tu dois dévorer les peuples que ton Dieu a livrés dans tes mains ; ton œil ne les épargnera point. Dans les villes que ton Seigneur t’a données, tu feras main basse sur tout ce qui respire. Massacre les hommes et les femmes qui ont connu l’homme, ne fais grâce qu’aux vierges, c’est la part qui t’est réservée. »

M. Jähns a résumé, dans un chapitre de son livre, les jugemens divers que, dans le cours des âges, l’Église chrétienne a portés sur la guerre, envisagée par elle comme un crime ou comme une loi divine. Au second siècle. Tertullien faisait aux fidèles un devoir de ne porter jamais d’autres armes que celles qu’avait portées leur divin maître, de ne prêter serment à aucun autre drapeau que le sien, de se refuser à tout service militaire et de ne jamais oublier que celui qui frappe avec l’épée périra par l’épée. Origène posait en principe que le chrétien ne devait à l’empereur d’autre assistance que celle de ses prières. Les mennonites, les quakers iront plus loin ; ils enseigneront que le métier des armes est impie, que le soldat est un meurtrier, qu’il n’est permis ni d’attaquer ni de se défendre.

Saint Ambroise, au contraire, estimait que l’homme qui prend les armes pour défendre son pays fait une œuvre méritoire, et saint Augustin déclarait que la guerre est conciliable avec la piété, qu’en exécutant les ordres de son général, le soldat chrétien obéit à une autorité instituée par Dieu, qui est seule responsable du sang versé. Au moyen âge, l’Église n’a jamais condamné la guerre, elle n’en a réprouvé que l’abus, et, dans les temps modernes, on n’a pas vu qu’elle se refusât à bénir des drapeaux et à solenniser des victoires. Il est un genre d’entreprises guerrières qui lui a toujours agréé : elle a pris sous sa protection les guerres de propagande et celles qui sont destinées à venger les injures du ciel. Elle a institué la Trêve de Dieu, elle a prêché les croisades.

Les conquérans lui apparaissent comme des mandataires inconsciens de la Providence, qui font ce qu’ils doivent faire sans savoir toujours ce qu’ils font, et elle craindrait, en condamnant la guerre, de s’insurger contre un décret divin. Joseph de Maistre la tenait pour un sacrifice expiatoire, auquel est attachée la mystérieuse vertu de laver les souillures de la terre. Ce n’est pas le sang des animaux, disait-il, ni celui des criminels exécutés par le glaive de la loi qui peut purifier le monde, c’est le sang des innocens, et il pensait que cet amour insensé de la gloire, qui pousse les peuples à s’entre-déchirer comme des bêtes, a été mis dans leur cœur par un grand juge, que ce juge souverain se sert de leurs passions pour obtenir de leur folie les oblations que réclame sa justice. « Au surplus, disait-il encore, que trouvez-vous à blâmer dans la guerre ? Est-ce la mort des hommes destinés à mourir tôt ou tard ? La déplorer serait d’un esprit faible et peu religieux. » Bien