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la nation elle-même, la conséquence parlementaire est qu’il n’y a plus de distinction à maintenir entre tel ou tel député. Sans doute ils ne se valent pas tous moralement et politiquement, soit d’un côté de l’assemblée, soit de l’autre, mais leurs bulletins de vote se valent, et, au point où nous en sommes, il serait bien difficile de distinguer avec certitude ceux qui sont républicains de ceux qui ne le sont pas. La ligne de séparation entre ceux-ci et ceux-là est presque impossible à tracer, et cette difficulté deviendra de plus en plus grande à mesure qu’un gouvernement équitable et impartial, s’inspirant des intérêts généraux du pays et non plus des intérêts particuliers d’un parti, fera sentir son action d’un bout de la France à l’autre. Nous n’en sommes pas encore tout à fait là.

M. Casimir-Perier a défini en très bons termes la politique du gouvernement envers la droite. La République est ouverte : y entre qui veut, et plus on y entrera, mieux cela vaudra. Mais il est clair que les nouveaux venus ne peuvent pas avoir la prétention de s’emparer de la place et d’en mettre les clés dans leur poche. Avant de leur en confier la garde, il est naturel de leur laisser faire un stage qui garantisse, sinon la loyauté, au moins la solidité de leur conversion. M. Casimir-Perier a ajouté que les plus sincères étaient précisément ceux qui comprenaient le mieux ce que cette précaution avait de convenable et de nécessaire. À ce compte, ils ne sont pas éloignés d’être tous sincères, car il n’en est pas un seul qui ait pour le moment la prétention d’entrer, à un degré quelconque, dans le gouvernement. On doit leur rendre la justice qu’ils ne demandent rien, sinon de la tolérance, et il est bien vrai qu’ils ne peuvent pas demander et qu’on ne peut pas leur donner autre chose. Cette tolérance, M. Spuller l’a promise dans le domaine religieux, et M. Casimir-Perier d’une manière plus générale encore, dans le domaine politique. Elle sera facile le jour où le parti républicain, comprenant qu’il n’a plus à se défendre en tant que parti, désarmera à son tour faute de rencontrer des combattans. C’est le sort historique de tous les partis de disparaître, ou du moins de se modifier profondément, lorsque leur victoire est complète. Alors, des groupemens nouveaux se manifestent, d’autres partis viennent au jour avec des aspirations et un but différens. Quand se lèvera le jour, prochain sans doute, où tout le monde en France sera républicain, ce ne sera plus une distinction de l’être ; on ne pourra plus porter à ce titre une cocarde spéciale et dénoncer ou persécuter ceux qui auraient oublié de l’arborer. On aura d’autres causes de divisions, car il y en a toujours ; mais ce sera beaucoup d’en avoir supprimé une, et une de celles qui, dans la confusion de nos souvenirs historiques et de nos espérances d’avenir, entretenaient au milieu de notre société les déchiremens les plus douloureux.

On se disputera sur des questions d’une autre nature, telles que la création d’un ministère des Colonies, qui a failli amener entre le