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travail. Il y a donc là également pour la charité un devoir éventuel. Dans un grand nombre de cas, la charité privée pourvoit à ces trois misères : la maladie, l’infirmité, la vieillesse ; mais dans les cas où elle n’y pourvoit pas, c’est à la charité publique de le faire, et lorsqu’il y aurait, défaillance à la fois de la charité privée et de la charité publique, lorsque toute une circonscription urbaine ou rurale serait dépourvue de tout hôpital pour les malades, de tout hospice pour les incurables, de tout asile pour les vieillards, non pas faute de ressources, mais faute de bonne volonté, j’admettrais parfaitement que, dans ces cas exceptionnels, un arrêté du préfet pût imposer à ces circonscriptions un centime charitable, sauf recours devant le Conseil d’Etat, qui apprécierait si la mesure a été prise équitablement.

Ce système peut assurément soulever des objections dont je ne méconnais pas la gravité. Aussi voudrais-je essayer d’y répondre sommairement. La principale est ce que j’appellerai l’objection anglaise. Mais, dira-t-on, ce système que vous prônez existe déjà en Angleterre et y a produit des résultats déplorables : c’est la taxe des pauvres, poor-rate, et il est bien connu que la taxe des pauvres entretient la misère et développe en Angleterre, et à Londres en particulier, un paupérisme auprès duquel le nôtre n’est rien. Comment songer à importer un pareil système en France ?

Ceux qui opposeraient ces objections me permettront de leur répondre à l’avance deux choses : la première, c’est qu’il y aurait toujours entre le système anglais et celui que je me permets de proposer une différence capitale ; en Angleterre la taxe des pauvres est universelle et obligatoire, tandis que le centime charitable, tel que je le comprends, serait au contraire local et facultatif, sauf exceptions très rares ; la seconde, c’est que ces objections contre le système anglais sont vieilles d’un demi-siècle. Elles remontent au temps des études, fort belles du reste, de M. Léon Faucher. Les reproduire serait montrer qu’on ne sait pas ce qui s’est passé en Angleterre depuis cinquante ans. Dans un article publié ici même il y a treize ans[1], j’ai eu l’occasion de montrer que le paupérisme de Londres était une légende, au moins quant à l’indigence officielle, le nombre des indigens étant à cette époque de 3,07 sur 100 habitans tandis qu’à Paris il était de 6,25 sur 100 habitans.

En 1884, le chiffre des indigens à Londres était de 99 435 sur 3816483 habitans. A Paris il était de 123324 sur 2209023 habitans. Aujourd’hui le chiffre des indigens à Londres est de 103 937

  1. Voir la Revue du 15 juin 1881.