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exigences excessives. Nous voudrions, naïvement, qu’ils se fissent pardonner leur fortune à force de noblesse d’âme et de distinction d’esprit, deux choses, à coup sûr, malaisées aux enrichis. On leur passe, de mauvais gré, ce qu’on tolérait sans peine des aristocraties militaires ou des noblesses de cour, le luxe, le faste, ce dont l’aristocratie d’argent ne saurait se priver ; car c’est par là qu’elle établit ses titres et qu’elle affirme sa royauté.

L’argent a besoin de paraître, et l’esprit démocratique, qui le provoque à se montrer, est choqué de ses exhibitions. Quand les distinctions sociales sont fondées presque uniquement sur la richesse, chacun est porté à faire parade de ce qu’il possède. Mammon, le roi nouveau, aime à se donner en spectacle ; il n’est ni simple, ni modeste. C’est, plus ou moins, un parvenu ; l’ostentation ne lui déplaît pas ; il ne craint point de froisser autrui ; il a besoin d’éblouir son prochain. Et comme on imite partout les puissans du jour, les petits sont portés à copier les rois de l’argent. C’est, pour eux, une manière de se tirer du commun. Rester au-dessous des autres semble s’avouer leur inférieur ; on voit, du haut en bas de ce qui s’intitule le monde, jusque dans la plus mince bourgeoisie, une émulation de luxe, un assaut de banales et factices élégances. Il est souvent bien pauvre et de bien mauvais goût, ce luxe frelaté de bourgeois mesquins ; il n’en est guère moins irritant pour le peuple. C’est une barrière artificielle, une cloison élevée à dessein pour séparer les hommes et leur rendre plus sensible la différence des conditions. L’orgueil des riches ne redoute point de provoquer, au-dessous d’eux, les comparaisons blessantes ; il s’y efforce plutôt : c’est, pour lui, une façon de faire preuve de fortune, comme autrefois on faisait preuve de noblesse.

L’existence de certains riches (ce ne sont pas toujours les plus opulens) semble un défi à la multitude des pauvres ; elle est, à coup sûr, une incitation aux passions révolutionnaires. La futilité outrageante d’une vie toute de plaisir est une prédication quotidienne contre la richesse et contre les riches. Rien de malsain, pour les foules entassées dans nos capitales, comme le spectacle des oisivetés bruyantes qui s’étalent insolemment sur les boulevards de nos grandes villes. Deux choses, dans nos démocraties, compromettent la richesse, et avec elle la propriété : l’une, c’est la manière dont se font tant de fortunes ; l’autre, c’est la façon dont on use de la fortune.

Plus qu’aucune autre, peut-être, l’aristocratie d’argent soulève autour d’elle l’esprit de révolte. Le règne de Mammon n’est jamais longtemps paisible. Les masses s’insurgent contre ce qu’elles appellent les privilèges des riches, et le socialisme sort du