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exactement des rivalités qui les ont paralysés et motivera sa préférence pour les assemblées de notables. Peu à peu, son regard perce au-delà des institutions politiques. Ayant pourvu au plus pressé, il s’informe du droit civil, du désordre des coutumes et du moyen d’y remédier. Puis, il devient moraliste : l’exercice du pouvoir est, à cet égard, une rude école. L’homme d’Etat ne voit d’abord que son but ; c’est à l’user qu’il juge les hommes, obstacles ou instrumens de son œuvre. Après les affaires proprement dites, les réflexions plus générales. Comment s’est ruinée la petite noblesse ? Quel parti, quels services, les rois peuvent-ils en tirer ? Quel est le tempérament bourgeois ? Pourquoi les gens de commerce sont-ils si timides ? Quelle lacune dans les aptitudes nationales a fait manquer le projet longtemps caressé d’une première compagnie coloniale ? Ne serait-ce pas par hasard un défaut dans l’éducation ? Les collèges ne sont-ils pas trop nombreux pour les écoles ? N’enseigne-t-on pas trop de latin ? Ne vaudrait-il pas mieux (c’est Richelieu lui-même qui parle) « que les enfans fussent dressés par des maîtres ès arts mécaniques ? » Maintenant supposons que le cardinal, parvenu au sommet de sa carrière, se demande pourquoi, après tant de grandes choses accomplies, le trésor reste vide et les meilleures réformes sont mal assises. Il aperçoit tout en bas, sous cette société enchevêtrée, pesante, les paysans qui peinent et qui souffrent. On sait qu’il n’est pas tendre pour eux. « Il les faut, dit-il, comparer aux mulets qui, étant accoutumés à la charge, se gâtent par un long repos plus que par travail. »

Mais alors M. Hanotaux reprend la parole. Il s’émeut de cette misère qui est le point faible de l’ancien régime. Il indique la faute, peut-être inévitable, commise par la royauté, lorsqu’elle a déserté la cause des humbles pour favoriser les privilégiés. Très sobrement, il soulève un coin du voile qui dérobe l’avenir et montre à l’horizon la « révolution des paysans ». Son exposé suit donc presque pas à pas la pensée de Richelieu. Il l’élargit seulement, en mesurant les conséquences que Richelieu n’apercevait pas. S’il réserve pour la fin les questions religieuses, c’est, dit-il lui-même, qu’elles méritent un dossier spécial. N’en doutez pas, Richelieu, homme d’église, et, dès ses premiers pas, harcelé par les protestans, eût fait de même et n’aurait pas confondu un sujet si important avec les autres matières d’Etat. Pour la même raison, les affaires extérieures devaient être traitées à part. Un peu de patience : vous serez informé aussi vite que le cardinal, et comme lui, quand il pouvait se dégager des affaires du dedans, vous consacrerez toute votre attention à celles du dehors.

Vous prétendez qu’on s’expose à des redites ? Cependant la seule manière de connaître les affaires, c’est de les étudier ainsi