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isolé dans sa résistance au mouvement patriotique. D’anciens adhérens du parti français comme Kalkreuth, les familiers mêmes du roi comme Beyme et peut-être Nagler, enfin les représentans attitrés de la prudence et de la modération comme Goltz, tous subissent l’entraînement qui emportait vers la lutte les milieux éclairés de l’Allemagne du Nord.

Grolmann était parti. Gneisenau et Scharnhorst, abreuvés de dégoût, semblaient près d’en faire autant. Blücher avait épuisé ses réserves limitées de patience : « Si les choses ne changent point, écrivait-il à Götzen le 14 juin 1809, j’irai porter ailleurs, au service de la patrie allemande opprimée, ce qui me reste de forces. Mais subir ces chaînes, jamais[1]. » Tous considéraient l’abstention comme une honte ; tous voyaient grossir le péril qui menaçait la dynastie si elle résistait plus longtemps ; Frédéric-Guillaume lui-même était inquiet. N’était-ce pas Goltz même, naguère encore l’adversaire de la politique de Stein, qui écrivait à la reine Louise : « Si le roi hésite plus longtemps à prendre la résolution que l’opinion publique réclame et à déclarer la guerre à la France, une révolution éclatera infailliblement[2]. »

Ce fut une sorte de révolution militaire qui éclata, mais elle n’eut ni l’étendue ni la portée que les patriotes eussent pu lui désirer. Dörnberg essayait de provoquer une insurrection militaire en Westphalie. Le duc de Brunswick traversait l’Allemagne à la tête d’une troupe insurrectionnelle pour aller combattre Napoléon sur un terrain plus propice ; et en Prusse, le major Schill, le héros populaire de la défense de Colberg en 1807, quittait Berlin avec son régiment de cavalerie le 28 avril, sur la fausse nouvelle d’une victoire de l’archiduc Charles. C’était un acte d’insubordination sans précédens dans les annales militaires de la Prusse ; et tandis qu’il provoquait l’enthousiasme des patriotes, de l’armée entière, même de partisans endurcis des préjugés de la vieille armée comme Borstell[3], il plongeait Frédéric-Guillaume III dans une violente irritation. Les mesures de rigueur, les arrêts, les révocations se succédaient sans affaiblir l’impression produite.

Les petites troupes de Dörnberg et de Schill tirent d’ailleurs peu de recrues. Schill erra quelque temps au hasard, impuissant à provoquer un mouvement de quelque étendue, et vint échouer misérablement à Stralsund plutôt en aventurier qu’en héros

  1. Hausser, Deutsche Geschichte, III, p. 382.
  2. Lehmann, Scharnhorst, II, p. 263.
  3. Droysen, York, I, p. 170.