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Théâtre-Libre, en deux clans bien tranchés : les uns déclarant absurde, les autres proclamant sublime ; en sorte que, tandis que la moitié des spectateurs sortaient des Menus-Plaisirs en haussant les épaules, on en entendait d’autres s’écrier dans une extase : « C’est aussi beau que Parsifal !… » Et il y avait un épisode de plus à consigner dans le curieux chapitre de nos petites annales littéraires où l’on décrira un jour l’accueil fait à certaines œuvres étrangères pendant ce dernier quart de siècle. Car on dirait que le public, — j’entends ce public restreint qui seul professe sur les choses de la littérature des opinions qu’il tache à justifier, — leur a réservé toute la passion dont il est encore susceptible. En tout cas, il ne les aborde point dans un simple esprit de curiosité, mû par un désir de connaître aussi honorable que légitime : il ne les écoute, dirait-on, qu’avec des partis pris pour ou contre, arrêtés d’avance, qu’elles soient ou non de valeur à les soutenir. Aussi commet-il à leur propos de grosses fautes de jugement, telles qu’on serait tenté de croire que le sens des proportions nous abandonne entièrement. Est-ce qu’il y a quelque temps, par exemple, on n’imaginait pas de nous donner, pour faire pendant aux pièces d’Ibsen, les folles pièces de M. Auguste Strindberg, dont l’incohérence ne décourageait aucune bonne volonté ? La crise d’enthousiasme qui a soudain placé M. Hauptmann au rang d’un Tolstoï, ou peu s’en faut, est un phénomène du même ordre, quelque supérieur que soit d’ailleurs son théâtre à celui de M. Strindberg. Nous en serons persuadés quand nous aurons parcouru les sept pièces, d’un intérêt inégal, qui, avec un poème et deux nouvelles, constituent l’œuvre complète, jusqu’à ce jour, du jeune écrivain.


I

M. Gerhart Hauptmann est né en 1862, en Silésie. Comme il a pris la peine de nous l’apprendre lui-même, son grand-père était un « pauvre tisserand, qui a vécu devant son métier comme les ouvriers décrits dans la pièce » ; avec plus de chance, pourtant, j’imagine, car son petit-fils se trouva dans une situation de fortune indépendante, qui lui permit dépasser les années de sa première jeunesse à tâtonner en cherchant sa voie. Il se destina d’abord à l’agronomie, puis il résolut d’être artiste, « mais sans bien savoir encore à quel art il se consacrerait », nous dit M. Jean Thorel, dans l’avant-propos de sa traduction des Tisserands. Il essaya de la sculpture, y renonça comme il avait renoncé à l’agronomie, songea aux lettres, fit des plans de romans et de pièces