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populaire. Le mouvement national était encore limité dans l’Allemagne du Nord à un milieu ardent, mais restreint.

La notion du patriotisme, qui avait reçu en France, depuis quatre cents ans, la consécration des grands mouvemens populaires et de l’unité nationale, était dans les masses allemandes un sentiment bien confus encore. Entretenu et surchauffé au sein d’un groupe de conspirateurs dont l’action est difficile à discerner et à préciser, il n’en avait point acquis encore le rayonnement des idées populaires.

Tout irrité qu’il fût contre l’acte d’insubordination d’un de ses officiers, Frédéric-Guillaume III n’en subit pas moins l’impression ; et cette impression ne fut sans doute pas étrangère à la décision qu’il prit, comme malgré lui, en mai, de se rapprocher de l’Autriche. Il suivit par faiblesse, et tout en manifestant contre les insurgés, contre les « fanatiques », une véritable colère, le mouvement qui l’entraînait. Il se résolut, mais sans netteté, pour l’alliance autrichienne ; il suspendit le paiement de la contribution à la France et livra à Napoléon, à la suite d’une résolution qu’il ne sut même point tenir, le secret de sa mauvaise volonté et plus d’un grief apparent[1].

Mais à peine eut-il pris ce parti qu’il sembla le regretter. On eût dit qu’en périssant, Schill avait emporté ces velléités fugitives. En mai, la Prusse se rapprochait de l’Autriche. En juin, les premières impressions de la bataille d’Essling retrouvent le roi aussi hésitant que jamais. Et ce sont, en face de lui, les successeurs de Stein, entraînés par Scharnhorst, qui lui conseillent les résolutions vigoureuses.

Ces discussions entre le roi et ses ministres se prolongeaient trop d’ailleurs pour n’être point stériles et tardives. Essling datait du 22 mai ; le mémoire où le ministère d’Etat prussien résumait ses conseils énergiques était du 15 juillet ; et, depuis dix jours déjà, Wagram avait rétabli la prépondérance européenne de Napoléon.

Un épisode de ces négociations mérite d’arrêter un instant l’attention, car il éclaire la situation des puissances européennes et livre, pour une part tout au moins, le secret de leur impuissance. Nous voulons parler de la mission de Steigentesch[2].

Durant la période qui sépare Essling de Wagram, la cour de

  1. Droysen, York, I, p. 170. — Karl Mamroth, Geschichte der preussischen Staatsbesteuerung, 1806-1816, p. 34.
  2. A. Stem, Abhandlungen und Aktenstucke zur Geschichte der preussischen Reformseit, 1807-1815. V. Die Mission des Obersten von Steigentesch nach Königsberg im Jahre 1809.