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de naître. Est-ce bien sûr ? Que serait-ce si c’était à l’opposé qu’il faudrait s’attendre ? Assurément un souverain peut être médiocre et même tout] à fait nul. C’est la chance que la monarchie court. Mais la présidence irresponsable en est-elle à l’abri ? Je crains bien, au contraire, que ce qui est un malheureux hasard d’un côté, ne soit une coutume qui devienne une règle de l’autre. J’ai peur que le choix présidentiel ne porte à peu près nécessairement sur un candidat dont l’insignifiance soit le titre principal, et qui ne puisse être compté ni pour le premier ni pour le second, — même parmi les siens.

Tant que le régime parlementaire subsiste, quel est le rôle véritablement éclatant qui peut être le digne objet de l’ambition d’un homme supérieur ? C’est assurément celui du chef d’un parti qui obtient ou dispute la majorité dans le parlement. C’est ainsi qu’un homme public sert sa cause en illustrant son nom. Mais pour celui qui a cette prétention et qui est capable de la justifier, le champ du combat, c’est l’enceinte d’une assemblée et la tribune est son cheval de bataille. C’est là, c’est par une lutte publique et quotidienne qu’il peut faire prévaloir ses desseins, et conquérir le pouvoir et la renommée. C’est à ce prix qu’on devient sur cette scène agitée le personnage qui fixe les regards des spectateurs. Combien alors paraîtra pâle et effacée, en comparaison, la figure d’un Président relégué dans son palais, condamné au silence et à l’inaction, — n’ayant pas même le droit d’émettre tout haut une opinion, — surveillé par une presse jalouse qui lui interdit tout acte personnel, — et n’apparaissant au public que pour la décoration et la parade. Non, si un parti a dans ses rangs un chef capable de gouverner, il n’ira pas l’enfermer dans ce lieu sourd d’où sa voix ne pourra se faire entendre : et la prison, fût-elle dorée, si lui-même a le sentiment de sa valeur, et n’est p.is séduit par une vaine gloriole, il n’aura garde de s’y laisser prendre. Ne voit-on pas qu’en Angleterre, quand un leader parlementaire est appelé, par une succession inopinément ouverte, à quitter la Chambre des communes pour celle des lords, ses amis considèrent cette élévation comme un malheur pour leur parti ? Quand cette mauvaise chance héréditaire faillit arriver à M. Pitt, par une maladie de lord Chatham, son frère aîné, tout le monde s’émut de cette perspective, comme d’un véritable danger public. Que serait-ce si, au lieu de changer seulement de tribune et d’auditeurs, il eût dû s’enterrer dans le repos solennel et silencieux d’une Présidence irresponsable ?

En tout cas, j’ai connu un candidat tout à fait hors pair, et qui, après avoir concouru à la fondation d’une république, s’en