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fatalité et comme accusé par la gravité des événemens qu’il traversait, le caractère de la médiocrité.

Dohna et Allenstein étaient tous deux jeunes. Dohna n’avait pas plus de trente ans et Altenstein n’en avait pas quarante.

Dohna était d’une vieille famille noble de la Prusse orientale[1]. Il avait fait toute sa carrière, une carrière rapide, dans cette administration prussienne mêlée par tant de contacts à la caste aristocratique. Il avait l’esprit tourné, comme la plupart de ses compatriotes et de ses contemporains, vers la décentralisation aristocratique de l’Angleterre beaucoup plutôt que vers l’organisation centralisée de la France, qui fonctionnait alors, presque sous les yeux, des Prussiens, dans le royaume de Westphalie. Vincke, qui était un esprit à peu près de même ordre, bien que plus résolu, et Frédéric de Raumer qui fut associé à son action, ont laissé de lui quelques traits de caractère qui donnent une idée assez précise ; du personnage et en même temps de l’état de désarroi et d’impuissance du gouvernement prussien.

« Le soir, écrit Vincke le 20 janvier 1809, au rapport, chez Dohna la machine a tourné à vide. C’est un excellent homme, aux intentions les plus pures, mais qui manque complètement de résolution et d’indépendance. On piétine sur place ; et c’est à désespérer de rien terminer. »

Et Raumer écrit : « Le ministre Dohna, placé à la tête du ministère de l’intérieur, était un homme de la plus grande droiture, des intentions les meilleures, mais incapable, dans les circonstances difficiles que l’on traversait, de conduire ni de dominer. Il se perdait dans les détails, impuissant à voir de haut ou à oser les améliorations décisives. Il recueillait des plaintes de toutes parts, surtout sur la constitution aristocratique des États provinciaux et des communes ; si bien qu’il se plaignait aussi et parlait comme les autres de réformes nécessaires, mais il ne se doutait ni du mal ni du remède. Il avait enterré déjà sept projets de réorganisation administrative dans ses cartons. Il avait contre chacun les plus graves objections et pensait s’approcher de la vérité en collectionnant les opinions. »

Il ne faut toutefois pas exagérer la responsabilité de Dohna dans l’avortement des réformes politiques.

Treitschke[2] semble admettre qu’au lendemain du départ de

  1. Voigt, Das Leben des königlich preussischen Staatsministers Friedrich Ferdinand Alexander Graf zu Dohna-Schlobitten. — V. Raumier, Lebenserinnerungen. I, p. 311. — V. Bodelschwingh, Leben des Oberpräsidenten Freiherrn on Vincke, p. 371. — E. Meier, Die Reform der Verwaltungs-organisation unter Stein und Hardenberg, p. 162.
  2. Treitschke, Deutsche Geschichte, I, p. 332.