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Stein, Frédéric-Guillaume III voulut, suivant une conception du premier ministre congédié, organiser en Prusse le gouvernement représentatif. Les intentions du souverain se seraient heurtées à une résistance énergique de l’aristocratie ; et Dohna n’aurait point su montrer pour la réprimer la même énergie que Stein.

Il est certain que l’aristocratie foncière avait relevé la tête en Prusse après le départ de Stein. Les États provinciaux de la Marche électorale protestaient impérieusement contre toute pensée de modifier la constitution sans les consulter. La noblesse poméranienne refusait catégoriquement de laisser toucher à ses institutions de crédit aristocratique. Les choses allaient si loin que Marwitz lui-même s’indignait de voir dans les Marches l’esprit de caste étouffer les notions encore obscures du patriotisme. C’était partout une levée de boucliers. Il semblait que l’on fût reporté au temps de Frédéric-Guillaume Ier, à l’origine des luttes soutenues depuis plus de cent années par la bureaucratie administrative de l’État prussien contre l’oligarchie foncière et la caste nobiliaire. Toute l’école administrative, Schön, Sack, Vincke, Maassen, Beuth, Bassewitz qui représentaient à la fois la notion de l’État, celle du patriotisme naissant et de l’indépendance nationale, étaient partout en conflit avec les organismes vivaces de la caste aristocratique, et la force de résistance de celle-ci mesurait ce qui lui restait encore de vitalité.

Mais ceux mêmes qui résistaient à l’oligarchie ; ceux mêmes qui avaient inscrit dans leur programme politique la formule du gouvernement représentatif, et qui poussaient à sa réalisation, n’aboutissaient dans leurs projets qu’à l’organisation d’une représentation aristocratique. Les esprits éclairés et doués de réflexion, tout enclins qu’ils fussent aux réformes, étaient amenés eux-mêmes à le reconnaître. Doter à cette date la Prusse d’une constitution et d’un gouvernement représentatif, c’eût été restaurer le pouvoir de l’oligarchie que les Hohenzollern avaient brisé cent cinquante années plus tôt. Hardenberg allait en faire quelques mois plus tard la personnelle et laborieuse expérience.

C’était là l’obstacle. Il s’était dressé en face de Stein, dont les idées étaient sur ce point demeurées fort vagues, comme il se dressait en face de ses successeurs. Et l’on ne saurait en faire un grief à Dohna ; moins encore peut-on dire qu’il fût demeuré sur ce point en deçà des intentions de Frédéric-Guillaume III.

Au surplus, c’est à peine s’il reste de l’action de Dohna, comme ministre de l’intérieur, rien qui mérite d’être retenu. Il poursuivit sans aboutir l’étude des réformes administratives ; et, comme il était fatal, à une époque où l’État avait tant de conquêtes à faire