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pas prendre de la main du garde des Sceaux, mais à recruter lui-même, par des moyens bien connus et d’une incontestable efficacité, les magistrats des colonies françaises[1].


Et ce que nous disons des magistrats, il faut le dire aussi des fonctionnaires des Travaux publics. Certes l’administration métropolitaine des Travaux publics est une des premières par les talens et la considération. Elle se recrute, par les procédés les plus sévères, parmi les sujets les plus distingués d’une école dont l’entrée n’est pas précisément facile. Et cependant il est probable et même presque certain que, transportés aux colonies, les fonctionnaires de cette administration y débuteraient par de coûteuses erreurs. C’est que ni l’Ecole, ni même le service ordinaire des ponts et chaussées ne les auront préparés aux problèmes et aux difficultés qui les attendent. Qu’à la longue ils deviennent égaux à leur tâche, nul n’en doute ; ce que nous soutenons, c’est que le gouvernement doit s’épargner les frais de leurs écoles.

Allez au Tonkin, par exemple : vous entendrez émettre même par des techniciens les opinions les plus contradictoires sur le régime des fleuves. Allez aux Indes anglaises : vous recueillerez, de la bouche de personnes autorisées, des avis diamétralement opposés sur l’utilité de l’irrigation[2]. Ne faut-il pas que les élèves-ingénieurs soient instruits de ces divergences et des raisons sur lesquelles elles se fondent ? Les canaux, les chemins de fer, même les simples routes se dessinent et se construisent dans les colonies autrement que dans la métropole. Et c’est pourquoi le gouvernement anglais, qui pourrait cependant se flatter de trouver dans son personnel métropolitain des ingénieurs de quelque mérite, forme avec tant de soin, dans le collège spécial de Coopers Hill, ceux qu’il destine aux Indes[3]. Et certes, l’on ne saurait prétendre que les élèves de notre Ecole polytechnique et de notre Ecole des ponts et chaussées soient inférieurs en science à leurs émules de Cooper’s Hill. Mais ils ne sont pas, comme eux, préparés aux exigences du service des colonies et, même munis de diplômes universellement estimés, il conviendrait de les soumettre encore à des examens techniques et, une fois nommés, de leur imposer, pas surcroît, un séjour en Égypte ou dans l’Inde, ou quelque voyage d’études, par exemple, sur cette petite ligne de

  1. Cf. notamment sur le recrutement des magistrats algériens la déposition de M. Flandin, député, alors procureur général d’Alger, devant la commission sénatoriale de la réorganisation de l’Algérie.
  2. A Civilian’s Wife in India, 2 vol., Hentley, 1884, t. I, p. 54.
  3. Voir sur ce collège la brochure officielle : The Royal indian engineering college Cooper’s Hill et les extraits qui en figurent dans l’India office list, 1894.