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On a bien tenté récemment de constituer une armée coloniale : mais ce que les Chambres ont voté n’a d’une armée coloniale que le nom.

Elles ont voulu donner satisfaction aux électeurs dont on prenait les fils pour ces expéditions et ont décidé de créer une armée coloniale composée d’engagés volontaires, qui savent à quoi ils s’exposent. L’armée coloniale sortie de ce vote n’est pas l’armée qui convient aux colonies. La loi ne s’est préoccupée que du choix des hommes ; les hommes, sans doute, dans une armée ont leur importance ; les chefs en ont bien davantage. La véritable armée coloniale est une armée dont les officiers seraient recrutés en vue des nécessités de la politique coloniale.

Oui, comme les fonctionnaires politiques, comme les fonctionnaires techniques, les officiers coloniaux devraient avoir été préparés pour le service des colonies.

Or ce service, nous ne pouvons admettre qu’il reste longtemps ce que nous l’avons vu depuis quelques années. Nous avons coup sur coup fait l’expédition de Tunisie, l’expédition du Tonkin et les campagnes du Soudan. Mais il faudra bien qu’un jour, prochain, nous l’espérons, on déclare l’ère de la conquête enfin close. Si alors on parle d’expansion coloniale, cela ne pourra plus signifier qu’expansion pacifique. Ce jour-là, la politique coloniale s’entendra non pas de l’annexion indéfinie de nouveaux territoires, mais de la science de gouverner et d’administrer les colonies. Et, sur notre domaine colonial enfin borné et pacifié, l’armée coloniale aura un rôle politique plus encore que militaire.

Dans cette situation, dont nous ne sommes pas aussi éloignés qu’on pourrait le croire, l’armée coloniale s’occupe moins de guerre que de police. La police se fait la main dans la main avec les pouvoirs civils. L’officier de l’armée coloniale[1] est donc sans cesse mêlé aux choses de la politique et de l’administration. Il voit, il fréquente, il apprend à connaître et parfois à apprécier les fonctionnaires indigènes et, en tout cas, à les considérer comme autre chose que des fantoches grotesques. Il est le collaborateur

  1. Si, au lieu d’une simple esquisse du rôle de l’officier colonial, nous avions à faire une étude sur l’année coloniale, nous devrions insister sur certains points d’un grand intérêt : la composition, forcément différente, des contingens qui servent dans les différentes colonies, cette composition étant déterminée, non seulement par le climat, mais encore par l’importance de la colonie, par le nombre et le caractère des habitans et leur degré de civilisation ; — la nécessité d’avoir dans presque chaque colonie des troupes blanches en même temps que des troupes indigènes ; — l’utilité, quelque inconvénient que cela puisse entraîner, de constituer, si on le peut, chaque régiment indigène avec des hommes appartenant à des races différentes et parfois même hostiles ; — l’intérêt qu’il y a, au double point de vue de la santé et de la discipline, à relever, après un certain temps, les unités de troupes blanches, etc.