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Il était très fin, très clairvoyant : il savait l’âme humaine et il savait le monde. Il savait écrire. Il avait étudié les lettres profanes. Il avait passé par l’Italie, qui était alors la maîtresse de toutes les élégances. Il était plein de l’antiquité. C’est plus qu’il n’en faut pour expliquer que ce livre, venu à son heure, ait eu un si prodigieux succès. « Nous l’avons tous entre les mains », disait plus tard Bourdaloue. C’avait été vraiment le manuel et le bréviaire de la dévotion.

Ce qui frappe d’abord quand on ouvre l’Introduction à la vie dévote, c’est la qualité de la langue. François de Sales parle la plus pure langue française et la plus moderne. A peine est-ce si on y relève quelques mots qui ne sont plus en usage et quelques tournures qui datent. Encore ces tournures semblent-elles être anciennes plutôt qu’être vieillies. Ce jeune langage a conservé sa jeunesse avec sa fraîcheur. Mlle de Gournay, à quelques années de là, rééditant les Essais de Montaigne était obligée d’en rajeunir quelques expressions. On peut aujourd’hui réimprimer l’Introduction sans y faire aucun changement et sans être forcé d’y ajouter des commentaires. Avec ce livre quelque chose est né, qui est la langue du XVIIe siècle et aussi bien la nôtre. — C’est la langue la plus claire, la plus aisée, la plus coulante, et je dirais c’est le style le plus simple, si ce style n’était orné plus qu’aucun autre et continûment fleuri. Mais c’est dès les premières lignes de la préface qu’on nous fait respirer le bouquet de la bouquetière Glycéra. Et depuis ce ne sont que comparaisons, similitudes, métaphores, une variété, un luxe, une profusion d’images. Une étude de ce style est encore le meilleur moyen que nous ayons pour nous renseigner sur le caractère même, sur le tour d’esprit et sur la sensibilité de François de Sales.

Plusieurs parmi ces comparaisons se développent dans toute l’ampleur de leurs deux termes. C’est la grande comparaison épique venue de Virgile et que Lamartine reprendra. Véritablement saint François est de la famille de ces poètes : c’est plus qu’une analogie superficielle. Et encore il nous plaît de nous souvenir que l’idylle de Jocelyn s’est déroulée dans les mêmes sites sur lesquels sa vue se reposait habituellement. Quoi qu’il dise, l’expression chez François de Sales revêt un tour pittoresque, la pensée se présente en image. Il en est de singulièrement vives et saisissantes. Ces images sont empruntées pour la plupart à la nature. Le spectacle des saisons en fournit quelques-unes. Le vol des abeilles, leurs mœurs, leur miel en a fourni le plus grand nombre. L’imagination de François de Sales est attirée vers ce qui est ailé et vers ce qui est doux. Elle se plaît encore aux objets familiers, aux aspects de la vie domestique, à ce qui est intime et tout près de nous. Ce n’est pas une imagination puissante, [1]

  1. Introd., p. 231.