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importantes de ces revues, les articles de science et de philosophie, comme si les lecteurs russes s’étaient fatigués, depuis quelque temps, de leur insatiable curiosité d’autrefois pour les questions générales.

Les revues anglaises, au contraire, font toujours une très large part au mouvement scientifique, et il n’y a point question si générale que l’on n’y trouve traitée, pourvu qu’elle se rattache à l’actualité du moment. C’est que les revues anglaises sont, en toute manière, l’opposé des revues russes. Dans le sonnet qu’il publiait, il y a dix-sept ans, en tête du premier numéro de la Nineteenth Century, lord Tennyson comparait les rédacteurs des revues de son pays à des matelots, et ces revues elles-mêmes à des navires voyageant en quête de l’idéal sur l’océan de la pensée humaine. L’image était belle, mais il n’y en a pas qui puisse donner une idée plus fausse de la signification et du caractère essentiels des revues anglaises. Celles-ci ont précisément pour trait distinctif de se désintéresser tout à fait de la recherche de l’idéal. Elles ne prétendent ni à amuser le lecteur, ni à le persuader, mais seulement à le renseigner tout de suite sur l’actualité. Ni la vérité, ni la beauté n’ont rien à voir avec elles. Mais ce sont tout de même de solides et remarquables navires, de ces bons paquebots qui courent avec une égale vitesse sur les mers les plus diverses, indifférens à l’espèce des marchandises qu’ils transportent. Ils les transportent du moins sans danger de naufrage, au plus grand contentement des expéditeurs et des destinataires. Ou plutôt encore, pour parler simplement, les revues anglaises ne sont peut-être pas des revues, dans le sens que nous sommes accoutumés de donner à ce mot : et j’admets qu’il leur manque, à ce point de vue, un souci d’art et de style, une certaine tenue littéraire dont je sens très vivement l’absence. Mais il faut les prendre pour ce qu’elles sont : pour des journaux mensuels, mieux renseignés, plus sérieux, que les journaux ordinaires, et remplaçant ce qui leur manque au point de vue de l’idéal par l’abondance, la sûreté, la clarté de leurs renseignemens sur les aspects les plus variés de la réalité.


On ne saurait trouver de meilleur exemple de ce caractère spécial des revues anglaises que dans la comparaison des articles récemment publiés par les plus importantes d’entre elles sur un mort illustre, le physicien Tyndall. J’ai lu une dizaine au moins de ces articles : pas un seul n’était une étude complète et approfondie, comme celles que publieraient, après la mort d’un de nos savans, les grandes revues françaises ; elles supposaient toutes qu’on avait lu déjà dans les journaux quotidiens les détails de la biographie de Tyndall, et qu’on lirait bientôt l’analyse et l’examen définitifs de son œuvre dans un de