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Renseignant du mieux qu’il pouvait son gouvernement qui ne lui prodiguait pas les instructions précises, il ne voyait à Berlin que le système français et le système anti-français. Il n’hésitait pas à classer Scharnhorst parmi les adversaires de la France. Mais pour le surplus il était fort embarrassé ; il paraissait avoir quelque difficulté à discerner si tel des ministres, comme Goltz par exemple, appartenait à l’un ou à l’autre des deux systèmes. On ne saurait s’en étonner. Les ministres n’eussent peut-être point su où se ranger eux-mêmes.

Quoi qu’il en soit, après avoir demandé à plusieurs reprises des instructions à Paris où l’on s’était résolu à lui donner pleins pouvoirs, Saint-Marsan inclinait à croire à la sincérité des déclarations françaises de Hardenberg. Il avait facilité sa rentrée au pouvoir.

Les négociations qui la précédèrent durèrent, comme nous l’avons vu, assez longtemps. Il n’est pas impossible que les discussions assez aigres qui s’engagèrent entre Hardenberg et Altenstein n’aient été qu’un paravent. D’autres questions durent être débattues entre le roi et Hardenberg : des questions de personnes sûrement, d’autres aussi peut-être. Elles furent discutées dans les deux entrevues mystérieuses dont nous avons parlé. Scharnhorst assista à la première et y joua un rôle qui ne paraît pas défini très clairement. D’après les confidences faites à Saint-Marsan par un tiers bien informé, Scharnhorst aurait assisté sans être appelé à la première entrevue. Il serait intervenu d’autorité pour, empêcher le roi de suivre les idées françaises de Hardenberg. Il aurait cette fois du moins réussi à l’écarter.

La biographie la plus récente de Scharnhorst ne donne point d’explications complètes. Scharnhorst aurait été une sorte de médiateur cherchant à apaiser par une intervention conciliante la querelle de Hardenberg et d’Altenstein, voulant amener le premier à accepter la direction du ministère tel qu’il était constitué. Il est toutefois vraisemblable qu’il dut se préoccuper des intentions réelles et des projets d’avenir de Hardenberg. Qu’allait faire celui-ci ? Il rentrait sous le patronage assez inquiétant et louche du prince de Wittgenstein. Il avait depuis longtemps éteint ses ardeurs d’antan, soit qu’il s’agît de politique révolutionnaire au dedans ou de politique insurrectionnelle au dehors. Il prodiguait les apparences de la soumission à Sa Majesté Impériale et Royale et ne voulait rien faire que de l’assentiment de Saint-Marsan.

Dissimulait-il, entrevoyait-il l’avenir, était-il prêt à s’enrôler