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tions en octobre. Sans doute il n’y survivra pas longtemps. Si les catholiques l’emportent, M. Woeste, qui a été le principal agent de la chute de M. Beernaert, demandera à recueillir sa succession, et si ce sont les libéraux, le changement sera plus profond encore et plus complet.

M. Beernaert a rendu à son parti des services dont celui-ci ne s’est pas montré fort reconnaissant. Il a duré dix ans, ce qui est toujours trop pour les impatiens, soit adversaires, soit même amis. On lui saura gré plus tard d’avoir aidé le pays à traverser tant bien que mal la crise toujours dangereuse d’une révision constitutionnelle. Il est arrivé au sujet de cette révision ce qui arrive le plus souvent, c’est que personne n’a réussi à faire exactement ce qu’il voulait faire. Les radicaux eux-mêmes ne demandaient pas, à l’origine, le suffrage universel ; ils y ont été entraînés, et y ont ensuite entraîné les autres. Le gouvernement qui le repoussait d’abord, a été obligé de le subir. Les libéraux, qui le combattaient, ont été battus. L’influence de la rue s’est même exercée, un moment, d’une manière assez fâcheuse sur le parlement. Tous les calculs ont été déjoués, et le ministère a fini par laisser faire ce qu’il ne pouvait plus empêcher. M. Frère-Orban, l’éloquent et courageux patriarche du parti libéral, a raconté toutes ces péripéties dans une remarquable brochure intitulée : La révision constitutionnelle en Belgique et ses conséquences. Toutefois le moment est venu où M. Beernaert a mieux aimé se démettre que se soumettre. Il avait déjà obtenu de la Chambre le vote plural, qu’il regarde comme un premier palliatif du suffrage universel : l’expérience montrera s’il a raison. Il a voulu en ajouter un second, la représentation proportionnelle des minorités, qui a séduit tant d’esprits généreux et qui a été condamnée par tant d’esprits pratiques. M. Frère-Orban la repousse par des argumens très forts. Cependant M. Beernaert n’aurait pas succombé s’il n’avait eu que les libéraux contre lui : M. Woeste a entraîné dans l’opposition une partie des catholiques. Sans attendre le vote de la Chambre, M. Beernaert, voyant ses amis irrémédiablement désunis, a donné sa démission, et la représentation proportionnelle a disparu avec lui. M. de Burlet et ses collègues du nouveau cabinet, quoique celui-ci soit à peine modifié, ne se sont fait aucun scrupule de retirer un projet auquel ils avaient paru tenir presque autant que M. Beernaert. Ils ont bien fait, car ils n’avaient pas la moindre chance de le faire passer. La crise constitutionnelle se prolongera aussi longtemps que la discussion et le vote des lois organiques. Voilà plus de trois ans qu’elle s’est ouverte : n’est-il pas temps de la clore ?


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.