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Fort du contrôle que l’expérience séculaire des astronomes apportait ainsi aux conséquences de ses déductions, Descartes n’hésite pas à déclarer que la communication instantanée de la lumière est une des propositions essentielles de son système. « Pour moi, écrit-il à Fermat, elle est tellement certaine que si, par impossible, elle était convaincue d’erreur, je serais prêt à avouer sur-le-champ que je ne sais rien en philosophie… Vous avez si grande confiance en votre expérience que vous vous déclarez prêt à tenir fausse toute votre philosophie si aucun laps de temps sensible ne sépare le moment où l’on voit dans le miroir le mouvement de la lanterne du moment où on le perçoit à la main ; moi, au contraire, je vous déclare que, si ce laps de temps pouvait être observé, ma philosophie tout entière serait renversée de fond en comble. »

Descartes faisait cette déclaration le 22 août 1634 ; quarante-quatre ans plus tard, on savait que la communication de la lumière n’est pas instantanée, qu’elle se fait avec une vitesse énorme, il est vrai, mais mesurable, et l’on avait déterminé avec une assez grande approximation la valeur de cette vitesse.

Descartes s’était trompé ; mais il s’était trompé en homme de génie ; en errant, il avait tracé d’avance la voie qui permettrait de reconnaître son erreur et de la rectifier.

Si la lumière ne devient qu’au bout d’un certain temps perceptible à une certaine distance de sa source, avait dit Descartes, les calculs des astronomes touchant les éclipses de Lune ne doivent pas concorder avec les observations. La distance de la Terre à la Lune n’est pas assez grande pour que l’erreur soit appréciable ; le désaccord devient notable lorsqu’il s’agit des éclipses des satellites de Jupiter.

Autour de Jupiter tournent quatre lunes découvertes par Galilée, — les astronomes en ont aperçu récemment une cinquième. À chaque révolution, chacune de ces lunes vient plonger dans le large cône d’ombre qui s’étend derrière la planète ; chacune d’elles s’éteint et se rallume ainsi à des intervalles parfaitement réguliers ; il est donc facile à l’astronome, lorsqu’il connaît l’heure à laquelle un des satellites a été éclipsé une première fois, de prédire à quelle heure il sera éclipsé la centième ou la millième fois ; mais, pour nous avertir que le satellite vient d’être plongé dans l’ombre, le dernier rayon réfléchi par ce satellite doit franchir la distance de Jupiter à la Terre, et cette distance varie ; tantôt la Terre s’approche de Jupiter autant que le permet la forme inflexible de son orbite, tantôt elle s’en éloigne autant qu’il lui est possible ; dans ce dernier cas, le parcours du rayon messager est plus long que dans