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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mai.


Nous sommes si peu habitués à un gouvernement qui sache ce qu’il veut et qui le dise, que M. Casimir-Perier étonne. On n’est pas éloigné de croire qu’il se livre à des exercices très périlleux, et qu’il en sera un jour la victime, ce qui est bien possible, car, avec le temps, tout finit par arriver. Seulement, on a tort d’annoncer tous les matins que l’après-midi ne se passera pas sans amener la catastrophe inévitable. L’après-midi se passe, et le ministère se trouve consoUdé. Les procédés qu’emploie M. Casimir-Perier pour obtenir des résultats aussi imprévus sont tout juste le contraire de ceux dont on a usé jusqu’aujourd’hui, et c’est là précisément ce qui déroute les habitués du vieux jeu qui pariaient volontiers pour ou contre, suivant des données cent fois éprouvées. La vérité est qu’on ne s’y reconnaît plus. Autrefois, avant de prendre une position parlementaire, le gouvernement faisait une longue enquête dans les couloirs. Il avait des émissaires quiallaientde groupe en groupe ; on négociait avec l’un, on composait avec l’autre ; on lâchait la moitié de son opinion, si même, devant des résistances qui paraissaient trop fortes, on ne l’abandonnait pas tout entière ; enfin l’art de gouverner semblait être réduit à reconnaître le vent et à lui ouvrir timidement la moitié d’une voile, sauf à la replier au plus vite, en cas d’erreur. Il ne serait jamais venu à la pensée du ministère de risquer une bataille que tout le monde disait perdue d’avance. Avons-nous besoin d’expliquer combien cette conception empirique du gouvernement était d’ordre modeste ? Non, sans doute ; tout le monde en convient. Mais on la croyait prudente et habile, et on était même convaincu qu’il n’y en avait pas d’autre possible. Primo vivere, dit la sagesse antique. Et, en effet, c’est beaucoup pour un gouvernement que de vivre, à la condition pourtant de ne pas sacrifier à cette nécessité primordiale ce qui donne quelque valeur à l’existence. Les gouvernemens antérieurs y sacrifiaient beaucoup, et cela sans compensation, car ils vivaient peu. Au surplus, ils avaient entre eux la ressemblance que les ombres ont entre elles. Plus ils se remplaçaient et moins on