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LE RÈGNE DE L'ARGENT

III.[1]
LE CAPITALISME ET LA FÉODALITÉ INDUSTRIELLE ET FINANCIÈRE

Nous vivons, je le veux bien, sous le règne de l’argent. A vrai dire, ce n’est pas là, nous l’avons montré, une royauté nouvelle. Ce qui est relativement nouveau et reste un des traits de nos sociétés modernes, c’est la prédominance, chez les peuples contemporains, de la richesse mobilière ou, comme disent certains, du « capitalisme ». La richesse a pris d’autres formes ; elle est devenue moins compacte, moins lourde, moins massive qu’autrefois ; elle ne tient plus au sol et ne fait plus corps avec lui. Elle s’est ou quelque sorte liquéfiée ; elle est devenue fluide, et elle coule, elle circule à travers le monde, avec une mobilité et un bouillonnement inconnus des âges antérieurs. C’est là, nous l’avons déjà remarqué, un phénomène de grande conséquence. Ce changement de nature de la richesse, dû à la fois aux découvertes scientifiques et au caractère industriel de nos sociétés, a, dans toute l’Europe, amené un déplacement de la fortune. Alors que, autrefois, la fortune demeurait, le plus souvent, aux mains des propriétaires fonciers, représentés, d’habitude, par la noblesse territoriale, il s’est formé une classe riche nouvelle, plus opulente, qui est en train de supplanter les aristocraties

  1. Voyez la Revue du 15 mars et du 15 avril.