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marque. M. Luigi Chiala poursuit depuis plusieurs années une série d’études, sous ce titre : Pages d’histoire contemporaine. On a le droit de penser que son travail n’a pas déplu en haut lieu, car, au deuxième fascicule, M. Chiala n’était que député et le voilà, au troisième, sénateur du royaume. Nous le suivrons pas à pas, mois par mois, nous le traduirons fidèlement et nous le traduirons tout entier, en regardant de près à son texte, en nous efforçant de rendre aussi ce qui se trouve entre les lignes, comme il convient, quand on lit une étude de politique positive.


I

L’occupation de Tunis par les Français fut pour l’Italie un rude coup ; elle la ressentit comme une sanglante injure ; elle y vit une menace et une provocation. L’opinion publique s’émut, ou bien on l’émut et on l’entretint savamment à un degré proche de l’ébullition. Tous les partis renchérirent les uns sur les autres de dignité blessée et de patriotisme irrité. Articles et discours flambaient, et le peuple, qui aime à faire du bruit, criait. Pour comble de malheur survinrent les déplorables incidens de Marseille. On se les rappelle encore. Un régiment, qui revenait de Tunisie, passant sous les fenêtres du cercle italien, à Marseille, des sifflets avaient retenti. De là, rixes et blessures, suivies ou non de mort d’homme, drapeau déchiré, écusson arraché, ce qui est le cas ordinaire. Qui donc avait sifflé ? Qui avait frappé le premier ? On ne le rechercha qu’après, lorsque la justice s’en mêla. Mais, dès que le télégraphe eut joué, ce ne fut qu’un cri en Italie : « On assassine nos frères ! » C’était le cadavre qu’un meneur promène dans toutes les émeutes et qui les change en révolution. Le dépit devint de la colère et pis que cela. L’Italie entière prit feu. On repassa en esprit les griefs anciens et récens que l’on avait contre la France, et, en les grossissant de bonne foi, presque sans s’en rendre compte, on exprimait très haut les inquiétudes qu’elle inspirait.

La France ne s’accommoderait jamais de sa défaite ; elle voudrait remonter à son rang et, ne pouvant reprendre à l’Allemagne l’Alsace et la Lorraine, elle prendrait à d’autres provinces : à l’Italie, que n’enlèverait-elle pas ? Elle lui arracherait Home pour la rendre au Saint-Siège : oui, elle en viendrait jusque-là. Elle commençait par lui prendre Tunis,’car il n’y avait pas à dire, c’était à l’Italie que Tunis appartenait, de par le droit et de par la nature, et c’était elle qu’on en chassait. Le gouvernement français violait outrageusement toutes les lois et toutes les convenances. Il n’avait pas d’égards pour l’Italie, qui avait tant d’égards pour lui. Elle