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diffère d’avis que sur la coupe du livret et l’allure du dialogue. Les uns veulent aller tout de suite et tout d’une traite à Berlin. Les autres, plus nombreux, veulent s’arrêter un peu à Vienne, mais pour tous Berlin est le but : Vienne n’est qu’une halte à moitié chemin. Chose curieuse : c’est l’alliance avec l’Autriche qui semble, en Italie, la plus facile, la plus naturelle. Les libéraux de l’école de Cavour s’en font les promoteurs et les protagonistes. Rien ne sépare plus l’Italie de l’Autriche ; rien, ni le Trentin, ni Trieste : l’irrédentisme ne pèse plus une once. On dirait que l’occupation de Tunis par la France a créé une sorte d’irrédentisme nouveau, qu’elle l’a détourné vers l’Afrique et que c’est à présent la Régence, la province italienne captive. Dehors, sans doute, les Barbares ! mais les Barbares ne sont plus au nord-est. Au nord-est, il n’y a plus que des amis, des frères. On s’est bien rencontré, dans les plaines lombardes et les lagunes vénitiennes, il n’y a pas quinze ans pour la dernière fois, Autrichiens d’un côté et Italiens de l’autre ; — mais raison de plus pour s’estimer et pour s’aimer.

Qui se souvient, après Tunis, que, dans l’ossuaire de Solferino, il y a des ossemens qui ne sont ni autrichiens ni italiens ? Presque personne, parmi ces sénateurs, ces députés, ces diplomates, ces militaires, ces publicistes, tous ces chauds patriotes. Ceux-ci vont plus vite et ceux-là moins vite, de leur train professionnel : les hommes politiques issus du suffrage, toujours un peu improvisés, les publicistes sous la plume desquels les mots enflent dans la hâte d’écrire et sous le coup du besoin de « porter », les militaires qui décomposent la vie en mouvemens et regardent comme un grand progrès de supprimer un temps à chaque exercice, négligent obstacles et distance, sautent à pieds joints jusqu’à Berlin. Les diplomates qui observent, comparent, combinent et calculent, ralentissent le pas, mesurent en hauteur et en largeur ces blocs dont il s’agit de s’approcher, l’Allemagne et l’Autriche. Il leur paraît que l’Allemagne est bien haute, bien large, bien forte, bien victorieuse. Avec l’Autriche, l’Italie se sent plus voisine de l’égalité : elle peut gagner ce qui lui manque. Comme l’on tient à faire bonne figure dans la ligue, comme l’on ne veut de l’alliance que pour la paix et de la paix qu’avec la dignité, s’il faut armer, on armera. S’il faut se mettre en état, on ne marchandera point pour s’y mettre ; on augmentera les contingens, on votera de nouveaux crédits et ainsi, par échelons, l’Italie s’élèvera jusqu’à l’Allemagne.

En attendant, elle peut traiter de pair avec l’Autriche, ce qui est encore traiter avec l’Allemagne (les diplomates insistent là-dessus) puisque, depuis plus de deux ans, depuis 1879, l’Allemagne