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brûle-pourpoint : « N’avez-vous pas à me faire, de la part de M. Mancini, une communication politique importante ? » — M. de Robilant ne se déconcerta point : « Je venais justement pour cela, » répondit-il.

La conversation était engagée. Etant donnés les mobiles auxquels on obéissait de part et d’autre, aucun arrangement n’était possible sans une clause qui stipulât la garantie réciproque des territoires. Traduite en termes géographiques, cette phrase signifie qu’il n’y avait pas de traité possible entre l’Autriche et l’Italie, si l’Autriche ne garantissait pas à l’Italie la possession de Rome, si l’Italie ne garantissait pas à l’Autriche la possession du Trentin et de Trieste. Or, il était délicat pour l’Autriche, puissance catholique, de garantir à l’Italie Rome revendiquée par le pape, et pour tout gouvernement italien de garantir à l’Autriche Trente et Trieste, considérées par la moitié de l’Italie comme provinces italiennes séparées ou non encore réunies.

Il importait beaucoup au comte Kalnoky, en raison des incidens récens de Bosnie et d’Herzégovine, d’avoir l’appui de l’Italie sur le Danube et dans les Balkans, et cet appui. M. Mancini ne le lui refusait pas ; mais il voulait, c’était son droit et son devoir, se le faire payer par l’appui de l’Autriche à Tunis, sinon pour effacer ce qui était fait, au moins pour empêcher ce qui pouvait se faire. Il avait, là-dessus, une vue très fine et très juste, du moment que l’on acceptait le point de départ. Le point de départ était que la France voulait la revanche. Plus la France verrait s’éloigner la revanche, — et l’alliance des puissances centrales l’éloignerait singulièrement, — plus résolument, plus furieusement elle se rejetterait vers l’Afrique. M. Mancini, en défendant la Tunisie, ne la défendait pas pour elle-même ; il défendait surtout l’équilibre méditerranéen qui serait détruit au préjudice et au constant péril de l’Italie, si la France fondait, trop près de l’Italie, un trop vaste empire africain.

Ici, le comte Kalnoky rompait d’une semelle. C’était mettre en cause, et directement, agressivement, la France, qui ne devait pas y être mise. Il s’agissait des affaires de l’Europe et du maintien de la paix par une garantie réciproque des territoires actuellement possédés, non pas de l’Italie et de Tunis. C’étaient là les seules bases possibles du seul traité qui pût intervenir. Autrement, il fallait s’en tenir à « l’accord intime », à la promesse d’une neutralité bienveillante. Au fait, l’Autriche n’en demandait pas plus : pourtant, que M. Mancini eût la bonté de mieux préciser ses idées. Mais M. Mancini était tombé malade, et M. Depretis avec lui, de sorte que, durant quelques semaines, les négociations furent suspendues.

Le président du Conseil italien dut supporter d’autant plus