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stoïquement ses souffrances, qu’elles lui fournissaient encore un moyen désagréable, mais enfin un moyen, de gagner du temps. Il n’était pas converti à la politique nouvelle aussi complètement que M. Mancini et ne connaissait pas ces ardeurs de néophyte. Jugeant les choses objectivement, il convenait en lui-même que Rome était pour l’Italie un morceau bien plus important que Trente et Trieste pour l’Autriche ; il comprenait les hésitations de M. de Kalnoky, premier ministre de Sa Majesté Apostolique. Si l’on attendait qu’il vint de Berlin à Vienne un mot qui levât ces hésitations ? Et il attendait, il priait Mancini d’attendre.

Mais M. de Bismarck affectait plus que jamais l’indifférence. Ce qui se passait entre Vienne et Home ne le regardait pas. Il en était plutôt content, mais pour l’Italie et l’Autriche. « Il émet l’avis que le moment n’est pas encore venu de stipuler une alliance proprement dite, du moins entre l’Allemagne et l’Italie, mais il verra de très bon œil tout ce qui serait concerté entre l’Italie, et l’Autriche-Hongrie[1]. »

Seulement, en attendant trop, tout pourrait se gâter. L’indiscrétion d’un journal annonçant, pour être le premier informé, que l’alliance était sur le point d’être conclue, une scène de désordre, comme celles dont rut accompagné le transfert des restes de Pie IX, l’inopportune curiosité d’un Italien susceptible, voulant à toute force savoir quand serait rendue la visite du roi Humbert à l’empereur d’Autriche et si c’était à Rome qu’elle serait rendue, le moindre fait, et il pouvait s’en produire d’assez graves, compromettrait la future alliance. Mancini lui-même la compromettrait en insistant sur Tunis et l’équilibre de la Méditerranée, parce que la France venait de régler le fonctionnement de son protectorat en Tunisie. Ceux qui, en Italie, étaient partisans de l’alliance quand même, — et c’était toute l’Italie, — voyaient l’écueil et sommaient Mancini de le tourner ou de le franchir. A quoi bon s’obstiner, puisqu’il n’y avait plus rien à faire ? Le passé était le passé. C’est du présent et de l’avenir qu’il avait charge. « L’Italie ne doit pas subordonner son action en Europe à des difficultés transitoires et, au résumé, secondaires[2]. »

Les pourparlers sont repris, plume en main : chacun propose sa rédaction, veut faire prévaloir son texte. Ce ne sont que projets et-contre-projets. De la fin de décembre 1881 au commencement de mai 1882, on en élabore trois ou quatre. M. Mancini communique le sien. Nous avons dit en quoi il consistait ; il était trop exclusivement italien pour avoir chance d’aboutir. Soumis par M. de Robilant au comte Kalnoky et par le comte Kalnoky au prince

  1. Lettre du comte de Launay du 12 mars 1882. — Chiala, p. 283.
  2. La Rassegna, articles de M. Torraca, ancien directeur du Diritto.