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de Bismarck, il est également repoussé de Vienne et de Berlin. M. de Kalnoky lui substitue, le 12 avril, un contre-projet de sa façon, approuvé par le chancelier allemand. Le comte Kalnoky indique comme but de l’alliance le maintien de la paix, comme base la garantie réciproque des territoires.

Pour recevoir cette garantie, il consentait à la donner, comptant d’ailleurs que le secret serait religieusement gardé sur la teneur de la convention, qu’il n’y aurait jamais à la rendre effective et que tout se passerait en écritures. Le projet autrichien ajoute que les puissances contractantes s’engagent, — ceci pour l’Italie, — à suivre, à l’intérieur, une politique conservatrice, « afin de renforcer le principe monarchique et d’assurer de cette manière la stabilité de l’ordre social ».

Rédaction trop générale, trop peu italienne, dans sa première partie, et, dans la seconde, trop peu parlementaire pour satisfaire M. Mancini. Il fait observer qu’en Italie on ne peut pas « aller de l’avant », comme en Allemagne et en Autriche, que les Chambres exercent un contrôle et même impriment une direction, qu’il est bien entendu que l’Italie suivra une politique conservatrice : c’est si bien entendu qu’il est inutile et qu’il serait imprudent de l’écrire dans un acte aussi solennel qu’un traité. Il faut éviter de froisser et le pays qui, par un légitime sentiment de son indépendance, veut « demeurer maître de lui-même », et certains groupes du Parlement qui, comprenant tout de travers l’épithète conservatrice, « une politique conservatrice », voudraient absolument y voir autre chose qu’une « politique monarchique ».

Et puis, « la garantie réciproque des territoires », c’était parfait, mais le contre-projet de M. de Kalnoky ne disait rien des grands intérêts nationaux, et pourtant il en existe, en dehors de « la garantie des territoires ». Qu’on ne parlât point expressément de Tunis, soit encore. Mais des « intérêts primordiaux communs », dei alti interessi communi, comment n’en pas parler sans qu’il y eût dans le traité une lacune grave ? Sur le premier point, la politique conservatrice, le comte Kalnoky et M. de Bismarck, qui est toujours derrière lui, passent condamnation : il leur suffit que l’accord soit établi une fois pour toutes et ils ne tiennent pas à en faire la matière d’un protocole. Mais sur la réclamation de M. Mancini, sur l’introduction dans le texte, après la garantie réciproque des territoires, de « la défense des grands intérêts communs », ils sont intraitables, car ils n’ont pas de peine à deviner quel est, pour le gouvernement italien, le plus grand de ces grands intérêts « communs » : c’est l’équilibre de la Méditerranée. Et sans doute, c’est là un intérêt commun, mais il y a trop de cas particuliers, et de trop récens, qui pourraient le faire invoquer, au bénéfice