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d’existence, les mêmes besoins, les mêmes penchans naturels favorisent les mêmes progrès. Quiconque se promène le matin dans les quartiers populeux d’une cité industrielle, ne peut manquer d’être frappé d’un trait de mœurs caractéristique. Chaque ouvrier qui passe parcourt attentivement un volumineux journal. On s’aperçoit vite qu’il n’y cherche pas la suite impatiemment attendue d’un feuilleton populaire, le récit pathétique de quelque crime émouvant, ou le compte rendu d’une séance tumultueuse à la Chambre. Son journal, qui lui a coûté au moins dix cents (dix sous), est un recueil scientifique fort bien fait, dans lequel les inventions récentes sont expliquées avec description complète des appareils, croquis, figures et nombreux détails techniques. Le lecteur espère y trouver l’indication précieuse lui permettant de donner un corps à la découverte rêvée qui l’enrichira. Tout Américain est un inventeur en puissance, épiant l’occasion de le devenir en réalité.

L’exposition de Chicago présentait un tableau grandiose de l’industrie mécanique aux États-Unis. Passons rapidement devant la fameuse roue Ferris, curiosité métallurgique dont chacun interprétait la signification à sa guise. Était-ce la roue de la fortune après laquelle tout le monde court, on Amérique et ailleurs ? Nos agriculteurs et nos meuniers soucieux craignaient d’y reconnaître la roue d’un gigantesque moulin, portant un défi à la vieille Europe, où les cultivateurs du Far West, non contens d’envoyer leurs blés en grains, expédient maintenant leurs farines de bonne marque. Le palais des machines ressemblait assez, par les vastes dimensions, à notre galerie du Champ-de-Mars, sans en offrir l’élégante hardiesse. Au premier rang, trônait naturellement la machine à vapeur. Est-il besoin de rappeler quelle part les Américains ont prise à son développement et à ses progrès successifs, depuis Evans, Fulton et les Stevens, jusqu’à Corliss et aux ingénieurs actuels ?

Tout d’abord l’ensemble de la chaufferie attirait vivement l’attention. La vapeur consommée dans le palais des machines était produite en totalité par une batterie de quarante chaudières tubulaires, à circulation très active, et chauffées au pétrole, qu’une canalisation spéciale apportait de l’Indiana à la World’s Fair. Un jet de vapeur d’eau, lançant dans chaque foyer le pétrole et l’y pulvérisant pour ainsi dire, réglait si bien la combustion que deux hommes suffisaient à conduire tous les foyers de la batterie. Un troisième, commodément installé dans sa guérite, surveillait sans fatigue les cheminées placées au-dessous de lui, et si l’une ou l’autre venait à fumer, il en avertissait télégraphiquement les conducteurs qui rétablissaient aussitôt la marche régulière. À