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de français à un Anglais ; j’avoue n’avoir reconnu qu’imparfaitement l’accent de ma langue natale.

Veut-on un autre exemple de savoir-faire pratique, emprunté aux choses les plus ordinaires de l’existence ? Il y a aux États-Unis des cars électriques et des tramways funiculaires à profusion. La traction mécanique n’est encore à Paris que l’exception rare ; la traction animale reste la règle. On dirait que nous sommes toujours au temps de Buffon, où le cheval était la plus noble conquête de l’homme sur la nature. Ensuite, en Amérique, les funiculaires marchent, les voitures circulent sans cesse et transportent rapidement les voyageurs. Pas d’attentes mortelles aux stations, ni de règlement tracassier ; pas de contrôleur réclamant au public ahuri ses correspondances ou ses numéros avec l’air aimable du gendarme demandant à un vagabond ses papiers. Monte qui peut, le nombre des places n’est limité que par l’espace et les lois de la physique. On se case à la diable, on s’empile assis, debout, accroché d’une manière quelconque. Du moins on est transporté et on arrive vite ; voilà le point essentiel, pour ce que transporter est le propre des véhicules.

Maintenant, l’avouerai-je tout bas, j’ai vu dans ces tramways qui portent l’Amérique et sa fortune, j’ai vu de mes yeux des femmes rester sur leurs jambes, tandis que d’honorables messieurs, sans avoir l’air de le remarquer, ne quittaient pas les banquettes. Et nous qui répétions bonnement, d’après les oracles, tant de belles phrases lapidaires sur le culte de la femme aux États-Unis ! Encore une légende qui s’en va. Mats non, chaque chose avait son jour à Chicago : c’était le jour du sans-gêne.

L’exposition des moyens de transports, de la « transportation », comme on dit là-bas, constituait d’ailleurs un des grands succès de la World’s Fair. On y trouvait réunis les divers modèles des locomotives successivement employées, depuis la première qui roula sur le continent américain et qui, malgré son âge avancé, était venue bravement toute seule de New York à Chicago. Parmi ces vétérans des voies ferrées, certains types curieux attiraient l’attention des visiteurs, particulièrement la locomotive à deux cheminées, avec le mécanicien au milieu, faisant marcher dans un sens ou dans l’autre son cheval de fer à double poitrail. La série se terminait par les énormes machines actuelles, haut perchées sur roues, spécialement construites pour entraîner à toute vitesse les immenses wagons qui sont fabriqués à Chicago même, où les ateliers de M. Pullman forment une petite ville dans la grande cité.

Les différens modes de navigation maritime, fluviale ou