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être sceptique, et ce léger persiflage n’a rien qui ressemble, en vérité, à une explosion de fanatisme antisémitique.

La Dernière heure du Christ, par M. Carolus Duran, n’affecte aucune prétention à moderniser la tragédie du Calvaire. C’est une vive et rapide esquisse, une chaude vision de coloriste, dans laquelle sa virtuosité agite, avec sa prestesse habituelle, une multitude de figurines et d’étoiles brillantes dans un décor somptueux. En général, d’ailleurs, on n’aborde pas des scènes aussi compliquées. Les épisodes de l’Evangile les plus simplement humains, la Fuite en Égypte, le Bon Samaritain, sont ceux qui attirent les néo-chrétiens du naturalisme comme les plus faciles à transplanter. Neuf fois sur dix, ce ne sont plus que des titres généraux s’appliquant à des scènes fréquentes de la vie commune ; une auréole par-ci par-là, jetée autour d’une tête vulgaire, ne suffit pas à la diviniser, et nous n’avons à estimer dans ces peintures, comme dans leurs congénères moins bien titrées, que la sensibilité et la science avec lesquelles elles sont traitées. Dans M. de Uhde, c’est un charpentier allemand, chassé sans doute par la misère ou quelque persécution religieuse, qui s’éloigne, à la brune, avec sa femme et son enfant, d’un village maudit dont les lumières s’éteignent au fond de la plaine. Saison rude et triste, nuages menaçans, route incertaine et glissante parmi les fondrières. La mère, tremblante, s’appuie tendrement contre son protecteur, et l’on se sent pris de compassion pour ce couple de prolétaires misérable et résigné. Fuite en Égypte ou fuite en Suisse, c’est tout un. M. de Uhde apporte toujours une émotion particulière dans les adaptations de ce genre. Pourquoi faut-il que sa peinture, obstinément pâteuse et confuse depuis quelques années, compromette quelquefois par une obscurité pesante des visions si sincèrement émues ? Il y a encore un bien grand sens de la bonhomie campagnarde dans l’allure des deux paysans, les Pèlerins, vus de dos, qui accompagnent si respectueusement, à travers les champs en fleurs, le Christ en robe blanche. Ce sont des pèlerins bavarois, le village qu’ils cherchent est Emmaüsdorf ; mais le sentiment biblique les transforme, et cette peinture plébéienne est vraiment de la peinture religieuse.

Il s’en faut de peu que le Jésus guérissant les malades par M. Lucien Simon et le Bon Samaritain par M. René Ménard ne soient d’excellens exemples en ce genre ; il s’en faut de quoi ? D’un peu plus de clarté et de décision dans la facture. L’émotion y est franche et vraie, la disposition moderne et heureuse. Chez M. Simon, la scène se passe au bord de la mer. Les infirmes, de pauvres pêcheurs, attendent sur la plage, les uns sur des brancards, les autres soutenus par leurs camarades, et la douce silhouette du Christ